Nicolas Jolivot a longtemps fait des carnets de voyage sans le savoir, juste pour garder des traces de ses périples. Depuis quelques années, il sait qu’il fait des carnets de voyage, mais cela ne change pas grand chose car son plaisir reste avant tout celui de partir, de chercher sur place des papiers pour dessiner, assis dans la poussière ou sous la pluie, entouré d’une bande de mômes curieux.
Après huit longs voyages à l’intérieur de la Chine et en guise de conclusion, le temps était venu pour Nicolas de poser sa valise rouge en carton à Shanghai et de terminer par cette mégapole où il rêvait de prendre le temps de se promener tranquillement. Et puis, comme il voulait aussi changer d’horizons, il a rapporté des carnets d’un autre voyage, en Ouganda. Une année riche en contrastes. Au Rendez-vous du carnet de voyage de Clermont, il présente Shanghai promenades, aux éditions Hongfei Cultures.
Comment est née votre passion pour le voyage et la pratique du carnet ?
Déjà, petit, en regardant les planisphères, je n’en revenais pas de l’immensité du monde. J’étais un enfant solitaire, je construisais au fond du jardin des bateaux avec des planches pour partir. Adolescent, quand je suivais la Loire à vélo, j’aimais bien emporter avec moi un petit carnet pour noter le nom des villages traversés et faire quelques dessins car je commençais à apprendre tout seul les règles de la perspective. Je m’entraînais en dessinant les églises. Et puis, un jour, j’ai lu dans un livre d’Alexandre Vialatte qu’il faut faire dans sa jeunesse « des choses grandes et magnifiques ». Alors je suis parti faire le tour de France à pied. Avec un carnet.
Que représente le carnet de voyage pour vous au quotidien ?
Le carnet de voyage permet d’avoir des souvenirs pérennes, de ne pas oublier les lieux visités et les personnes rencontrées. En cela, le carnet de voyage est beaucoup plus performant que le cerveau humain ! Et puis quand je pars tout seul, c’est mon pote, mon confident, une carte de visite pour aborder les gens.
Quelle est votre définition du voyage ?
Perdre ses repères habituels (géographiques, linguistiques…), découvrir de nouvelles formes, partir assez longtemps pour avoir un manque de chez soi et des siens, avoir le plaisir de les retrouver au retour, aller de l’avant pour regarder vivre les autres tout en regardant en arrière, d’où l’on vient, changer de « point de vue », savoir se perdre… Voyager demande un effort souvent vain pour apprendre autant sur les autres que sur soi. C’est une définition très traditionnelle, presque romantique, basée sur la distance, la rupture et le hasard !
Suite à un premier voyage en Chine en 2006, vous tombez sous le charme et y retournez maintes et maintes fois pendant plusieurs années. Pourquoi cette « obsession » pour la Chine et ses habitants ?
C’est tellement grand, la Chine ! Je ne pouvais décemment pas me dire que j’avais voyagé dans ce pays en y allant qu’une seule fois. Je ne suis ni sous le charme ni obsédé mais plutôt stupéfait, fasciné. On peut être fasciné par des choses morbides ou déplaisantes aussi…
Vous travaillez avec des supports et des matériaux trouvés sur place, vos carnets sont de véritables œuvres d’art à part entière. Pourquoi ce choix artistique ?
Comme vous exagérez ! Les choses s’imposent d’elles-mêmes, ce n’est pas un choix. Si voyager c’est découvrir, alors le carnet de voyage doit aussi être un espace de découverte, d’expérimentation, de liberté. J’aime qu’il soit le reflet du pays tant sur le fond que dans la forme. L’idée d’avoir le même crayon et le même papier pour mes prochains voyages me déprime par avance.
Vous voyagez et réalisez des carnets depuis de nombreuses années, pourtant, vous n’avez franchi le pas de la publication par un éditeur que depuis peu. Pourquoi ?
Parce que le carnet de voyage original et le carnet édité sont deux choses très différentes ! Le premier est imparfait, sensuel, unique, à l’image du voyage. Le second est calibré, sans erreurs, il appartient à chaîne du livre, à son industrie. Je ne veux pas réaliser le premier en pensant au second, c’est donc à l’éditeur de franchir le pas et de croire que ça en vaut la peine. Après c’est une chance et un plaisir d’en rencontrer un sérieux qui a de bonnes idées pour faire progresser l’auteur et lui faire rencontrer un public plus large.
L’ouvrage et les carnets que vous présentez traitent de la mégapole de Shanghai, où vous vous êtes rendu trois fois. Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients d’une telle cité en tant que voyageur ?
Il n’y a pas d’avantages ou d’inconvénients dans un voyage. On doit, quelle que soit la destination, y trouver de l’intérêt et accepter les galères avec philosophie sinon on ne repart pas ou l’on ne choisit plus que des destinations « plage-soleil-cocktail ». Je ne fais pas de différence entre la ville et la campagne. Chacune est un formidable « terrain de jeu ». Je dirais seulement, et c’est un lieu commun, qu’on se sent plus seul en marchant dans les grandes villes que dans les vallées perdues.
Vous nous avez confié en avoir terminé avec la Chine, vous pensez avoir fait le tour de la question ? Ou est-ce une lassitude ? Quels sont vos projets actuels ?
On ne fait jamais le tour de la question ! Par contre, au bout d’un moment, je risque d’être pris pour un spécialiste, ce que je ne suis pas. Et puis, je le répète, voyager, c’est perdre ses repères et non en créer de nouveaux, or à chaque voyage en Chine, j’étais de moins en moins surpris, je prenais des habitudes faciles, ce qui est un vilain défaut. J’espère continuer en Asie… j’aimerais aussi aller voir la seconde source du Nil après celle du Lac Victoria en février dernier.
Propos recueillis par l’association Il faut aller voir