
Avoir 20 ans, une valise et une 2CV
– EXTRAIT –
Tout a commencé une nuit d’avril 1969, dans un petit village allemand de la banlieue de Hanovre. Mon ciel d’avenir sentimental était bas. Il pesait lourd sur mes épaules d’adolescent naïf, encombré de gros nuages de désespoir, tourmenté de chagrin. C’était par une nuit de crise existentielle, ponctuée de sanglots et de cauchemars. Le lendemain, au petit déjeuner familial, j’ai pris ma décision. Jobst Krecke, brave bourgeois, grand amateur de marches, de chants en canon, de rythmes militaires, ne cessait de me remonter le moral, de me replacer sur une voie honnête et droite. Pour la énième fois, il m’a conjuré d’être enfin un homme : « Sei doch ein Mann ! »
J’ai compté sur mes doigts : avril, mai, juin. Trois mois pour m’acheter une 2CV. Puis partir. Longer la Bavière. Entrer en Autriche. Franchir les Alpes. Après ? La Roumanie ou la Turquie, selon l’état des routes et celui de mon humeur.
Ses exhortations n’avaient aucune prise sur mon silence tenace. Mais elles m’ont aidé à voir surgir la Révélation du Voyage. La grâce m’avait atteint au cœur. Non, je n’entrerai pas en monastère. Non, je ne me terrerai pas sous une soutane. Ma rage s’ex primera… dans les cartes géographiques. Celles de la grande Europe me convenaient parfaitement. J’en trouvais une à mon goût : tout y était, de l’Écosse bosselée à l’Istanbul piquée de minarets, en passant par les méandres du Danube et les petites villes des Balkans.
J’ai compté sur mes doigts : avril, mai, juin. Trois mois pour m’acheter une 2CV. Puis partir. Longer la Bavière. Entrer en Autriche. Franchir les Alpes. Après ? La Roumanie ou la Turquie, selon l’état des routes et celui de mon humeur. J’ai passé mon permis de conduire, non sans mal. Fin juin, je partis, le coffre plein de casseroles, d’assiettes bien évidemment inutiles. De ma mère, je recevais de multiples recommandations, encore plus inutiles. Mon ami Alain était mon alibi. Il devait, pour mes parents, m’accompagner dans mon périple en… Italie. Non seulement je n’ai jamais mis ma mère au courant de mon projet, mais encore, je n’ai jamais pris la direction de l’Italie, sauf au retour.
Seul au volant, avec quelques centaines de kilomètres d’expérience. La voiture, acquise à la hâte, sentait encore le neuf. Je n’avais pas peur. Oh, si, j’avais peur ! Mais c’était de bonheur que mon sang battait le plus fort à mes tempes. Reims… Épernay… Nancy… À Strasbourg, j’ai embarqué un couple d’auto-stoppeurs. Vers minuit, nous nous sommes arrêtés pour dormir dans la voiture. Le lendemain, j’ai déposé mes jeunes gens en Forêt-Noire, dans un petit village où les balcons sculptés regorgeaient de fleurs et de plantes vertes.
Carnet de voyage à bord d’une 2CV de Jacques Petit à lire dans Numéro 4
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