A pied à travers le Gobi
EXTRAIT :
L’aventure commence le 20 mai 2011 à trois cents kilomètres d’Oulan Bator, la capitale de Mongolie. Notre caravane compte trois Mongols et douze étrangers. Ils viennent d’Europe, d’Inde, de Chine, d’Amérique du Nord. Ils sont pilote de ligne, haut-fonctionnaire, informaticien, professionnel du tourisme, consultant en développement personnel… Ils sont venus, attirés par le caractère exceptionnel de l’expédition. Deux mois de vie nomade en terrain hostile représentent un défi à soi-même. Certains marcheurs abandonneront au bout de quelques jours, quelques semaines, mais ils ne le savent pas encore.
Je suis le photographe de la caravane et le seul Français. Je connais mes ennemis : la poussière et la chaleur. J’ai emporté deux appareils Nikon et trois objectifs : 17/35, 24/70 et 70/200 millimètres. Une valise étanche pour éviter que le sable ne s’infiltre entre les lentilles optiques. Pour recharger mes batteries, j’adopte le principe du panneau scolaire posé sur le dos du chameau. Même si de temps en temps le panneau glisse ou se couvre de sable, même si les batteries mettent beaucoup de temps à se recharger, le système fonctionne. Ce sera une de mes préoccupations principales pendant toute la durée de l’expédition.
Nous avons prévu de marcher une moyenne de 25 à 35 kilomètres par jour. Le corps devient, après quelques jours, une sorte de machine à mettre un pied devant l’autre. Quelquefois, le corps s’épuise à marcher sous des températures qui frôlent les quarante degrés. Quelquefois, les vents violents ou la tempête de sable nous bloquent sous la tente. À quoi bon lutter contre ces minuscules cristaux qui vous fouettent le visage et pénètrent jusque dans la bouche ?
À mi-parcours, nous sommes soumis à une tempête de deux jours, suivie d’une accalmie. Nos accompagnateurs mongols discutent avec un éleveur qui est apparu soudain sur la piste avec son 4×4. Son troupeau de chèvres et de moutons s’est dispersé dans la vallée. Il a perdu une vingtaine de bêtes. Il nous demande de l’aide.
Marcher en regardant l’horizon. Un vertige horizontal. Voir cette ligne au loin pendant des jours et des jours. Rentrer dans un rythme lent, observer le paysage aux nuances de rouge, d’ocre, de jaune.
Nous sommes quatre à escalader un sommet à 2 000 mètres d’altitude. Nous tombons nez à nez avec un mouton. Il vient juste d’être égorgé, sa dépouille est encore chaude. C’est une panthère des neiges qui s’est attaquée à l’animal. Nous l’avons dérangée dans son dépeçage. Nous ne la voyons pas, mais elle, elle doit nous voir, c’est son univers ici. La vallée aux terres brunes recouvertes de sable est superbe vue d’en haut. J’imagine ce désert il y a des millions d’années. Il ne manquerait plus que l’apparition d’un dinosaure. Des dinosaures dont on retrouve encore régulièrement des fossiles dans cette partie du désert de Gobi.
Les journées sont rythmées par des gestes ancestraux : plier les tentes, charger les chameaux de Bactriane – des chameaux à deux bosses, une espèce asiatique adaptée aux conditions extrêmes – vérifier les cordages. Marcher en regardant l’horizon. Un vertige horizontal. Voir cette ligne au loin pendant des jours et des jours. Rentrer dans un rythme lent, observer le paysage aux nuances de rouge, d’ocre, de jaune. Prendre le temps de faire des photos et rester un peu derrière les autres. Retrouver le groupe aux repas. Dans cet espace sans limite, on ne peut pas voyager seul.
Carnet de voyage d’Emmanuel Berthier à découvrir dans Numéro 47. Raconté par Catherine Verger
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