À travers les glaces
– EXTRAIT –
J’ai conçu et construit un engin hybride, mi-voilier mi-char à glace, prêt à affronter l’océan gelé : sept mètres de long, 2,40 mètres de large et deux cents kilos. La nacelle habitable de deux mètres par deux est en carbone. Les coques renferment deux vessies gonflables, ce qui permet d’amortir les chocs, et sont équipées de skis. Babouch’ty, c’est son nom, est gréé d’un mât autoporteur et de voiles d’une surface de 40 à 65 m2 !
Un bateau pour naviguer sur l’eau et sur la glace, capable d’emporter cent vingt jours de nourriture et d’équipement pour trois personnes. Il était important pour moi de partir avec deux coéquipiers habitués et amoureux des grands espaces. Éric et Vincent ne sont pas marins mais connaissent bien les régions froides. Éric avait déjà participé à l’expédition du passage du Nord-Ouest à bord de Babouche et Vincent a de nombreuses expéditions polaires à son actif depuis plus de dix ans.
Au challenge technique et sportif s’ajoute un défi scientifique. Nous nous sommes mis au service de la science afin d’en apprendre plus sur les microplastiques et la cryoconite, ce dépôt de poussière atmosphérique qui pourrait participer à la fonte des glaces, à travers des prélèvements d’eau et de neige. Nous avons aussi procédé à des mesures et imageries, avec retour quotidien, sur la glace rencontrée, qui se révèle être plus fine que les relevés satellitaires.
Ces observations aideront à déterminer la santé de l’Arctique. Il y a des gros écarts entre les données satellites et la réalité sur le terrain. Les satellites annonçaient une banquise de 1,20 mètre à 1,50 mètre ; en réalité, les résultats sur le terrain indiquaient plutôt une épaisseur entre 40 et 90 cm, ce qui est vraiment peu pour cette zone de l’océan Arctique. À bord de Babouch’ty, cependant, pas un scientifique ! La partie habitable du voilier – 4m2 sur 75 cm de haut – ne peut abriter que trois personnes… Et encore !
Nous sommes partis de Pruddhoe Bay, au nord de l’Alaska, le 19 juin. L’expédition ne s’est pas déroulée comme prévu. Dès le départ, nous avons été confrontés aux difficultés d’une glace impraticable, nous obligeant à avancer mètre par mètre, avec l’aide de palans, nous freinant considérablement.
Depuis plusieurs heures, on aperçoit une zone de chaos devant le bateau. À mesure que l’on glissait, d’énormes monstres de glace se faisaient de plus en plus impressionnants. On part en reconnaissance sans le bateau, et on se retrouve au milieu de blocs de plus de huit mètres à chercher un passage
Carnet de voyage de Sébastien Roubinet à découvrir dans Numéro 38
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