Arctique : sur les traces de l’ours
– EXTRAIT –
A 12 ans, je découvre cette magie incroyable, presser sur un bouton et obtenir une image de la réalité, grâce au Star Flash Kodak, et son ampoule à broches qu’on fixait par le haut, premier appareil photo offert par mes parents. Puis, lors d’un voyage dans la vallée de Chamonix en 1962, la notion « d’embrasser le froid » commence à germer en moi. Je réaliserai mes premières photos de « glace » à l’aiguille du Midi. Plus tard, sur le chemin du lycée, je passe régulièrement rue des Archives à Paris devant une boutique de photographe à l’ancienne qui m’attire irrésistiblement. Un jour, je pousse la porte et découvre de grands tirages en noir et blanc posés à côté d’un agrandisseur. La rencontre avec ce vieux photographe sera décisive et je m’offrirai mon premier 24×36 reflex à objectif interchangeable, un Zenith russe. Inscrit au club photo de mon lycée, c’est en 1968 que je tire mes premières photos en noir et blanc : portraits, scènes de rues, petits métiers du Paris de l’époque.
En 1993, la découverte des pôles métamorphose mon parcours photographique ; c’est à cette époque que je découvre le Groenland : « Je rêvais depuis toujours d’assister à la naissance des icebergs, ces monstres de glace et découvrir Ilulissat et la baie de Disko, le plus gros « distributeur d’icebergs » de l’hémisphère nord : j’ai été submergé, fasciné par cette puissance naturelle, et me suis confronté durant des années à cette démesure ». J’y retournerai sept fois.
Puis en 2003, c’est la découverte de l’Antarctique qui m’ouvre de nouveaux horizons. Au fil de mes périples, je me suis intéressé d’abord au monde des glaces, un monde de transformation et d’impermanence, je me suis tout naturellement rapproché de la faune et des hommes qui l’habitent, un monde brut qui ramène l’être à l’essentiel, à la simple lutte pour la vie.
Groenland, Cap Melville, 27 avril 2012. J’avais écrit son nom dans la neige : « Nanoq, Le Seigneur des Glaces », comme une invitation, une prière presque, mêlée de peur et d’excitation aussi. Iggianguaq, musher de son état et aussi un peu chamane m’avait pourtant prévenu : « On ne provoque pas le destin ainsi, ikinngut (l’ami, ndlr), en s’asseyant impunément dos à la montagne, pour fixer l’horizon ! »
Je ne m’en inquiétais pas pour autant ; un œil aux aguets, l’autre rivé au viseur de mon appareil photo, slalomant entre les compressions glaciaires, armé de mon seul 600mm, alors que depuis une semaine nous jouions à cache-cache lui et moi. Lui en quête d’une rencontre et moi d’aventure, ou le contraire je ne sais plus, en tout cas d’un possible exploit photographique avec le seigneur des lieux dans mon cadrage.
Pourtant, alors que je m’étais résigné, à l’aube de mon retour à Savissivik, dernière étape avant Cape York en Baie de Melville, je m’installai sur un petit promontoire rocheux pour contempler une dernière fois cet univers si particulier, fait de sculptures éphémères, bestiaire de glace aux couleurs et aux formes ciselées par les éléments naturels.
Que cherchais-je au fond ? L’inspiration ou bien la silhouette de ce sumo qui règne sur le grand désert blanc et qui, lorsqu’il se dresse sur ses pattes arrière, peut mesurer jusqu’à trois mètres de haut.
Origine de toutes mes rêveries et déambulations intérieures, cet univers, mariage du cristal de la lumière et de l’érosion, sera toujours pour moi une source d’inspiration ; peut-être plus encore ce jour-là ; pourquoi ? Je ne le savais pas bien, pas encore en tout cas.
© Carnet de voyage de Michel Rawicki à découvrir dans Bouts du monde n°27
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde