Au cœur de la jungle amazonienne
– EXTRAIT –
Le départ pour la forêt amazonienne s’annonce épique. Première difficulté : trouver la gare routière, perdue dans une sorte de zone industrielle et particulièrement mal indiquée. Les touristes prennent l’avion, me dit-on, le bus est bien trop dangereux ! (…) Mon sac est rempli des provisions censées me permettre de tenir jusqu’à ma destination, Riberalta, à vingt-sept heures d’ici, à l’extrême nord-est du pays. J’ai choisi cette ville complètement au hasard, simplement parce qu’elle est loin et que personne n’a l’air de vouloir s’y rendre. Mon expérience m’a prouvé que ces deux facteurs sont souvent signe de découvertes et de rencontres plus authentiques.
Je prends place au fond, pour ne pas voir la route, ce qui s’avérera être une brillante idée. La route boueuse qui serpente dans cette montagne est tellement étroite que je me demande sans cesse si le bus sera à même de passer, ou si une roue un peu trop large le fera glisser dans le ravin, sur un mauvais jugement du chauffeur. De jour, elle est terrifiante. De nuit… L’avantage, c’est que je ne la verrai pas – le chauffeur à peine plus d’ailleurs.
Deux heures après le départ, soit cinq heures après le départ initialement prévu, le bus s’arrête déjà. Le chauffeur sort et inspecte ce dernier, quelque chose cloche. Les passagers s’impatientent et se mettent tous à taper des pieds en chœur dans un vacarme tonitruant, en hurlant « Patron, vamos ! ». Je me joins à eux, il faudra que j’essaie ça de retour en France. La nuit tombante, je décide de dormir. Ma fenêtre ne ferme pas, je suis littéralement frigorifiée, malgré duvet, bonnet et gants. Je m’endors tant bien que mal, au milieu d’un désert de terre ocre, à plus de 4 000 mètres d’altitude. Je me réveille, en nage, au beau milieu d’une jungle dense et ténébreuse.
Le bus s’est arrêté net, en plein milieu d’un virage, et semble ne pas vouloir repartir. C’est la panique, tout le monde se précipite dehors, une grand-mère me crie de ne pas rester là, c’est dangereux, il faut prendre un taxi. Un taxi ? Au beau milieu de la jungle ? Mais pour aller où ? Que se passe-t-il ? Après une bonne demi-heure à s’agiter, les gens remontent finalement dans le bus, personne ne viendra les chercher, il n’y a pas de réseau. On m’explique enfin : le bus est en panne. Nous devrons y dormir cette nuit, en attendant demain qu’on le répare. Peu m’importe, j’ai des provisions et plus d’eau qu’il n’en faut, et je suis de toute façon préparée à un long voyage. Il semblerait que je sois la seule ; c’est la panique, les mères ont peur pour leurs enfants, je partage ce que j’ai. Une fois mes réserves épuisées, quelqu’un sort avec mes bouteilles vides et revient, chargé d’eau. Au beau milieu de la forêt amazonienne, à cet endroit précis, passe un tuyau percé, accessible à l’aide d’une échelle de bambou, posée là. Comment était-il au courant ? Je l’ignore. Toute la nuit, le chauffeur tapera sur le moteur à coups de bâton. À l’aube, nous repartons.(…)
Nous mettrons quarante-deux heures pour faire 400 km, il m’en reste quasiment le double, je n’ai malheureusement pas tout ce temps devant moi, et mes vivres commencent à prendre chaud, à en juger par la carotte toute noircie et rabougrie que j’essaie de croquer. Je choisis de descendre à Rurrenabaque, point de départ de tous les treks et haut lieu touristique, que je comptais éviter à tout prix…
Carnet de voyage de Slovia Roginski à lire dans Bouts du monde 36
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde