Au cœur du sanctuaire des bonobos
EXTRAIT :
Kinshasa, où j’atterris le 12 janvier en pleine crise politique, présente les caractéristiques communes de toutes ces balafres urbaines que le monde contemporain sait si bien dresser. Hyperactive, elle respire à pleins poumons l’air encrassé émanant de ses artères bouchées. Une fourmilière macroscopique y a pris position, chaque recoin, chaque interstice, bouillonnent d’activités en tout genre. Mais pas le temps de s’accommoder du mastodonte urbain et de l’effervescence humaine qui le tapisse. Il s’agit au contraire de rejoindre un de ces lieux hors du temps. Pas de portable, pas de réseau internet, ni tous ces codes qui conditionnent nos existences ; s’alléger de tout ce qui régit notre quotidien et nous rassure. Anesthésie du confort, tarissement des sources de complaisance. Les seuils du bien-être vont être repensés, l’anodin va redevenir exception. La dépendance est l’ennemie du baroudeur. Savoir se défaire de ses habitudes quotidiennes et de ses besoins d’homme gâté, c’est s’élargir à tous azimuts. L’horizon des possibles alors s’étend.
Dans mon cas, le chemin de l’horizon est pris bien avant que le soleil ne crache ses premiers rayons sur le crépuscule. Il s’agit de s’extirper du réseau tentaculaire bitumé du Kraken urbain avant sa saturation. Les nids-de-poule, qui parsèment ces appendices, favorisent un réveil efficace. Le point de chute est situé à des centaines de kilomètres du centre névralgique du pays. Tout ce chemin sera effectué pour passer du temps en famille, pour apprendre un peu plus d’un proche avant que ses jours ne soient trop comptés. L’expédition est scientifique, l’aventure est éthologique, la mission consiste à améliorer les connaissances sur l’un des derniers grands mammifères connus de la science à avoir été élevé à la dignité d’espèce nouvelle. Cette nouvelle branche a poussé en 1929 sur l’arbre phylogénétique familial. Ton mode de vie singulier t’a permis de te libérer spécifiquement, Bonobo. Pan Paniscus est né et se trouve déjà menacé.
Rendez-vous en territoire de bolobo
Les bonobos sont devenus, par la force des choses, casaniers de la cuvette centrale congolaise, contraints par des barrières hydriques qu’ils n’ont jamais daigné traverser. Congo, Kasaï, Sankuru, Lukenie, Lualaba, tels sont les noms des bourreaux de sa conquête. Pour nous, la rencontre se fera à proximité de la ville de Bolobo. Toute une symbolique puisque notre parent tirerait probablement son nom d’une transcription erronée du nom de la ville. Mais l’espèce ne se laisse pas facilement approcher.
Carnet de voyage de Clément Cornec à lire dans Numéro 44
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