Au nord de la zone de confort
– EXTRAIT –
Premières côtes ardues pour les mollets. Première nuit passée sous l’humidité, et nous nous étonnons déjà de trouver le mercure figé bien plus bas que nos attentes. Mais plus le froid est fort, plus la réussite de son épreuve est valorisante ; dans la fraîcheur de notre arrivée, nous partons le cœur léger parcourir nos premiers kilomètres arctiques.
Un tour de roue, un pont, du vent, un autre pont, encore du vent, et malgré un soleil improbable, je me mets à croire notre projet complètement inadapté à nos conditions. Sans entraînement, mes jambes ont du mal à faire le tour d’un pignon bloqué à son minimum. Je m’arrête trop souvent, je n’ai plus de souffle, je regarde mon compteur qui ne défile pas aussi vite qu’à la maison. Evidemment, les routes de Saint-Briac ne nous ont pas préparés au vent glacial des plaines nordiques, ni à l’accumulation nerveuse d’un voyage à travers l’Europe ou à l’apparition démoralisante d’une barrière nuageuse menaçante.
Pourtant, un dauphin solitaire s’amusant dans une baie me redonne du courage et me rappelle pourquoi nous voulions être ici. Pour ça : sentir notre corps vivant, se prendre la nature en pleine poire et n’être plus que de simples humains ne demandant qu’à la traverser. Et pour le coup, tout est réussi, notre corps se rappelle à notre existence sous de solides courbatures, la nature nous affronte sans crier gare, et nous lui demandons humblement de nous accueillir.
Deuxième nuit sous une clarté arctique, première nuit en camping sauvage, isolés sur une presqu’île minuscule qui ne me rassure guère et me rappelle combien je n’ai pas l’âme d’un aventurier isolé. Je me couche tôt, vivement demain, il fera beau, j’aurai pris des forces, allez, on se reprend… Est-ce que je suis le seul à ne pas être 100 % détendu dans ce genre de situation, ou est-ce que les autres ne font que fanfaronner et dissimulent leurs propres doutes ? Pourtant, reconnaître ses doutes, n’est-ce pas encourager ceux qui en ont à chercher à les dépasser. Ne pas avoir peur d’avoir peur, faire de chaque frontière un levier plutôt qu’un frein. Facile à dire, maintenant que je suis rentré bien au chaud à la maison, les pieds dans mes chaussons, de la musique rock dans les oreilles.
Carnet de voyage en famille et à vélo de Joëlle Bocel & Nicolas Fradet, à découvrir dans Numéro 34
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