Au pied du Kangchenjunga
– EXTRAIT –
Nous quittons Kolkata après quelques jours passés dans l’ancienne capitale britannique. La ville grouillante, que nous avons parcourue sous la chaleur étouffante de cette période de pré-mousson, est encore calme, presque silencieuse. La moiteur de l’atmosphère renforce l’impression de jungle urbaine où des buissons s’extirpent de la moindre fissure des anciennes demeures, les fils électriques s’entremêlent telles des lianes, les singes et perruches font des balcons à moitié effondrés leur terrain de chasse.
Notre train nous attend au point du jour. Il nous faut réveiller le gardien dormant encore au milieu du lobby de notre hôtel qui a dû autrefois être luxueux. Le gardien nous ouvre dans un demi-sommeil la grille hors d’âge donnant sur College Street. Dehors déjà l’aube pointe, la vie s’éveille profitant des dernières heures fraîches avant que ne s’installe la fournaise du golfe du Bengale. Le vendeur de chaï, qui semble avoir pris racine au pied de l’immeuble, est déjà à s’activer autour de ses fourneaux. Nous prenons un thé, en guise de petit déjeuner, avant de rejoindre la gare.
À cette heure-ci, la plupart des commerçants de rue dorment encore dans leurs échoppes lorsqu’ils ont la chance d’en avoir une, ou sur leurs étals ambulants, voire à même le sol. Kolkata n’a pas volé sa réputation de ville pauvre, très pauvre ; pauvreté accentuée par le faste des constructions coloniales décrépies. Quelques commerçants s’éveillent, allument des feux au charbon de récup pour préparer le thé. Une fumée âcre recouvre déjà les ruelles qui mènent à la gare de Sealdah. Les dizaines de libraires de College Street ne tarderont pas à rouvrir, les Ambassadors jaunes à reprendre leur trafic incessant, les « hommes-chevaux » à tracter des charrettes démesurées.
Nous attend le Kangchenjunga Express, n° 13 175. Bien nommé pour sa destination – pas pour son allure : ce train, au terme d’un parcours d’environ 3 000 kilomètres et trente-six heures, rejoint Agartala dans l’État du Tripura en contournant tout le Bangladesh, et dessert notamment Siliguri, porte d’entrée du Sikkim. Des chiffres qui donnent le tournis, un rythme qui impose la patience, presqu’une méditation. (…)
C’est en voiture que l’on rejoint les hauteurs du Sikkim. Le train ne dessert que Darjeeling, et encore, de lacets en aiguillages, de chutes de pierre en pannes ponctuelles, il faut compter plus de huit heures pour parcourir les soixante-dix kilomètres qui relient Siliguri à l’ancienne villégiature britannique. Voiture donc : nous avons convenu avec notre contact, P., qu’il s’occupe des derniers kilomètres. Nous attendons, au milieu du va-et-vient incessant des shared taxis blancs, avec comme seule indication qu’une « voiture blanche » doit venir nous chercher. Avant que l’attente n’ait laissé place à l’inquiétude, une petite Toyota s’arrête et son conducteur nous fait comprendre qu’il nous emmènera à destination : nous voilà dans la seule voiture de ville partant vers le nord, au milieu de cette file de jeeps bien plus robustes.
Il nous faudra neuf heures de route pour rejoindre Yuksom.
Carnet de voyage de Thibaut Grosset à découvrir dans Numéro 60
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde