Au rythme de la jungle
– EXTRAIT –
L’orage a obligé la baleinière à s’arrêter. Les éclairs illuminent la rivière plongée dans la nuit. Des trombes d’eau s’abattent sur le bateau, les passagers se réfugient dans la soute pleine de sacs de farine de manioc ou dans les petits couloirs qui permettent d’accéder aux cabines. Dans la mienne, il y a juste la place pour un petit matelas de plastique posé sur une planche à soixante centimètres du sol. J’ai casé mon sac en dessous et accroché les provisions sur un clou le long du mur. Le vacarme de la pluie me tient longtemps éveillé. Je crois m’endormir mais un petit bruit différent de celui de l’averse m’empêche de sombrer dans le sommeil. J’allume la lampe frontale, les murs sont couverts de rats, des dizaines, il y en a même au plafond. Ce sont les avocats achetés dans la journée qui les ont attirés. J’éteins vite la lumière et essaie de penser à autre chose… Un mouvement sur ma jambe, penser à autre chose… Pour une fois que je vois des animaux, je ne vais pas faire le difficile, je n’ai jamais eu de chance avec la faune. Dans la forêt, aucun singe, aucune antilope, pas de porc-épic, pas de bonobo, je n’ai rien vu. Ce n’est pas grave, je ne suis pas l’ami des bêtes ; moi ,si je viens dans la jungle, c’est pour rencontrer les Pygmées.
Je les ai côtoyés la première fois au Congo Brazzaville, puis dans la province de l’Equateur en RDC. Cette fois, je profite de la promesse que j’ai faite à sœur Monique, une missionnaire congolaise rencontrée au Kenya, d’aller voir sa maman, Marie-Madeleine, pour me rendre dans la province du Sankuru, à Lomela où vivent également des autochtones dans la grande forêt tropicale. Il y a quatorze ans que Monique en est partie, elle n’y est jamais revenue, n’a jamais revu sa mère.
Voyager dans le cœur de la République démocratique du Congo, c’est difficile, il faut avoir du temps, ou de l’argent, ou les deux, et un corps qui n’oppose pas de résistance. Il n’y a pas de routes, juste des pistes en assez piteux état que seuls peuvent emprunter les piétons, vélos et motos. On peut naviguer sur les rivières si on n’est pas pressé et des avions viennent régulièrement de Kinshasa vers les plus grandes villes pour les passagers qui en ont les moyens.
Pour ma part, j’ai d’abord rejoint Lodja dans un petit avion de Air Kasaï. À l’aéroport, je rencontre Sylvain, un cousin de Monique qui va être mon chauffeur. J’affronte la DGM, la Direction générale de la migration qui dans chaque ville, essaye de me soutirer un peu d’argent, puis nous partons.
On traverse régulièrement des ponts constitués de planches longitudinales à la route avec plusieurs traverses perpendiculaires. Ils sont surélevés, obligeant le passage au ralenti mais leur état étant souvent désastreux, c’est préférable. Il y a toujours une grande flaque d’eau à l’entrée et à la sortie du pont où volent des myriades de papillons.
La piste n’est pas de tout repos, il y a des bosses, des trous, des crevasses, des ornières, des dénivelés brutaux. On contourne des flaques ou on les traverse, elles peuvent être profondes, l’eau affleurant le sommet de mes bottes. Elles sont même parfois infranchissables. Des villageois en profitent pour gagner un peu d’argent en assurant la traversée sur des pirogues. La boue rend le cheminement périlleux quand ce n’est pas le sable, tout aussi glissant. Des grandes herbes qui nous fouettent le visage ont envahi le chemin par endroit, le rétrécissant au point de le faire disparaître.
On traverse régulièrement des ponts constitués de planches longitudinales à la route avec plusieurs traverses perpendiculaires. Ils sont surélevés, obligeant le passage au ralenti mais leur état étant souvent désastreux, c’est préférable. Il y a toujours une grande flaque d’eau à l’entrée et à la sortie du pont où volent des myriades de papillons.
Nous sommes dans une région montagneuse, la piste monte et descend, le terrain est très accidenté, m’obligeant à marcher derrière la moto qui doit faire de l’escalade entre les monticules de terre, tombant régulièrement.
De temps en temps un arbre abattu en travers du chemin vient pimenter le voyage. Il faut soit le contourner en passant dans la forêt, soit l’enjamber en portant la moto. S’il a été retenu dans sa chute par la végétation foisonnante, on passera dessous en baissant la tête. Les bambous qui poussent inclinés nous obligent à la même gymnastique. Même pour moi qui ne suis que passager, je ne dois pas quitter la piste des yeux.
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