Aux portes de l’enfer
-EXTRAIT-
Ce soir, ce sera nuit à l’abri dans le refuge. Il neige. Depuis ce matin, il neige sans s’arrêter. Pas fortement mais assez pour recouvrir doucement les sommets des montagnes autour de moi. La grande caldera d’Askja, remplie d’eau n’est qu’à huit kilomètres de moi. Huit kilomètres par delà les montagnes du massif Dyngjufjöll. C’est la pépite de la randonnée, le lieu que je suis venue voir. Celui pour qui j’ai traversé des kilomètres de champs de lave. Une pointe d’inquiétude trouve son chemin dans mon esprit. Le temps est mauvais, les nuages sont bas. Vais-je réussir à voir quelque chose ? Un jeune homme américain, étudiant en géologie, ici depuis plus d’une semaine, m’indique qu’il a fait la balade jusqu’à Askja hier par-dessus les montagnes. Il n’y avait presque pas de neige, le chemin était passable. Et la vue superbe. Pourtant hier, le temps était aussi moche qu’aujourd’hui. Mais une éclaircie en milieu de journée a ouvert les cieux. Ceux-ci seront-ils aussi cléments aujourd’hui ?
Ma visibilité est réduite à quelques mètres et je distingue à peine les poteaux indicateurs de la direction à suivre. Je marche dans un monde blanc et flou. Je ne sais plus faire la distinction entre le sol et l’horizon.
Je me lance dans la montée, la neige me picotant le visage. Une centaine de mètres plus haut, me voilà dans la neige. Tout est blanc. Contrastant violemment avec les blocs de lave noire. Une peinture à l’encre de Chine. Je marche à travers l’œuvre d’un grand maître, les yeux éblouis par la beauté des lieux. Le vent s’est calmé et la tempête de neige aussi. Je progresse dans un monde intouché où personne n’est passé avant moi. Mes empreintes toutes fraîches semblent souiller l’espace immaculé. Il n’a suffi que d’une dizaine d’heures pour recouvrir le monde d’un joli manteau blanc. En bas, dans la vallée, je distingue la plaine vallonnée. Mais le paysage disparaît autour de moi. J’ai continué à monter et je suis entrée dans le brouillard. J’ai atteint la limite du ciel, celui où je touche les
nuages. Ma visibilité est réduite à quelques mètres et je distingue à peine les poteaux indicateurs de la direction à suivre. Je marche dans un monde blanc et flou. Je ne sais plus faire la distinction entre le sol et l’horizon. Où s’arrête la crête ? Où commence le vide ? Je m’enfonce dans les centimètres de neige de plus en plus importants. Et personne. Mon esprit s’affole doucement. Est-ce une bonne idée de continuer ? Quand vais-je enfin commencer à descendre de l’autre côté ? Mais je continue. La traversée n’est pas vraiment dangereuse, la crête étant large la grande majorité du temps, mais cela reste impressionnant. Le brouillard serait plus épais, je n’aurais pas pu continuer, incapable de distinguer la voie à suivre. Alors que je commence à céder à l’inquiétude, le chemin tourne enfin et commence à descendre.
Carnet de voyage de Claire Blumenfeld à découvrir dans Bouts du monde 58
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