Avoir 20 ans à Mururoa
– EXTRAIT –
Le 24 août, les ingénieurs du Centre de l’énergie atomique sont fébriles. « Canopus », la première bombe H française, doit être tirée au-dessus de Fangataufa, à cinq cents mètres sous le ballon. 2 600 kilotonnes dévastent l’atoll. Le nuage semblant rester stationnaire, nous sommes appelés à rejoindre le site à pleine vitesse. Après moins d’une heure de route, nous sommes en vue des derniers arbres en feu… Nous arrivons dans un paysage sombre et angoissant, dans une sorte de brume de chaleur, une mer huileuse couverte de cendres et de charbon de bois…
Aux abords d’une tour de ferrailles fondues, un veilleur repère la marque de fluorescéine d’une sonde semi-immergée. Le bosco prépare une élingue mouflée et l’échelle de pilote. Il saisit l’engin que nous l’aidons à hisser manuellement sur le pont. à bras-le-corps, il le transporte vers l’étrave, en attente d’évacuation. Nous reprenons le quart passerelle, puis évacuons au plus vide la lugubre zone de tir. Jour après jour, en dépit d’une sorte de résignation, l’exécution des tirs ne manquera jamais de nous laisser dans une angoisse sourde, causée surtout par l’ignorance de la réalité du niveau de risque encouru. Nos légères combinaisons de coton, le dosiphot (badge à film photographique pour mesurer les rayons gamma), le masque et les gants jamais utilisés n’avaient guère de sens pour l’équipe de la passerelle exposée à tous les vents, contrairement au reste de l’équipage abrité dans les fonds. Nous apprendrons plus tard le risque pour la santé causé par la consommation d’eau douce, produite par les bouilleurs d’eau de mer, possiblement contaminée… Rien d’une promenade de santé cette mission. Nous étions tous vraiment pressés d’en finir.
Récit de Jean-Claude Lecoq à découvrir dans Numéro 41
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