
Barentsburg, avant-poste russe
– EXTRAIT –
Depuis la fin du mois d’octobre, le paysage a changé de couleur. La neige est venue saupoudrer la toundra d’un manteau blanc, léger, et l’enveloppera jusqu’à l’été. Nous sommes début avril. Les jours s’étirent. Les nuits sont de plus en plus courtes. Dans un peu plus d’une semaine, le soleil ne se couchera plus sur l’archipel. Les Norvégiens appellent cette période Solvinter, « l’hiver ensoleillé ». Elle s’étend du 1er mars au 16 mai. C’est le meilleur moment pour s’offrir une escapade hors de la vallée où nous habitons. Longyearbyen est encaissée, à l’est et à l’ouest, entre deux montagnes aux sommets écrasés et plats qui culminent à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Au nord, un large bras de mer, l’Adventfjorden et ses eaux glacées. Au sud, Longyearbreen et Larsbreen, deux glaciers dont les eaux de fonte coulent en été au milieu de la vallée. Position : 78 ° de latitude nord, 15 ° de longitude est, à très exactement 1 316 kilomètres du pôle Nord. J’y ai posé mes bagages en août 2023. Je n’avais pas beaucoup d’options, l’archipel ne compte que quatre localités. La capitale, Longyearbyen, 2 500 habitants, le village de Ny-Ålesund, dédié à la science où hivernent une trentaine de scientifiques, la ville minière russe de Barentsburg, 400 habitants et la cité abandonnée de Pyramiden, zéro habitant.
Depuis 1932, ce petit bout de terre de l’ouest de l’île du Spitzberg est exploité par la compagnie minière Arktikugol, propriété de l’État russe. Avant 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, de nombreux touristes et habitants de l’archipel faisaient le voyage quotidiennement.Désormais, les visiteurs se font plus rares
Dans cet archipel norvégien de l’Arctique, dont la superficie ne dépasse pas celle de la Lettonie, 3 000 habitants de cinquante nationalités différentes cohabitent, au cœur d’une nature hostile, territoire de l’ours polaire. Cette configuration multiculturelle est, à ma connaissance, unique au monde. On la doit au Traité du Svalbard, qui régit l’archipel depuis 1920. Il existe donc, à quarante kilomètres à vol d’oiseau de chez moi, une ville, ou plutôt, un village russe : Barentsburg, la « ville de Barents », baptisée en l’honneur du découvreur hollandais de l’archipel du Svalbard au XVIe siècle, Willem Barentsz. Depuis 1932, ce petit bout de terre de l’ouest de l’île du Spitzberg est exploité par la compagnie minière Arktikugol, propriété de l’État russe. Avant 2022 et le déclenchement de la guerre en Ukraine, de nombreux touristes et habitants de l’archipel faisaient le voyage quotidiennement.Désormais, les visiteurs se font plus rares. Se conformant aux sanctions imposées par le gouvernement norvégien, plusieurs entreprises et agences de voyages locales ont décidé de stopper leurs activités en lien avec la colonie russe. En été, quelques bateaux assurent la liaison mais en hiver, le seul moyen d’y accéder est d’enfourcher sa motoneige et de voyager pendant deux heures au milieu de vallées, de glaciers et de montagnes immaculées.
Sans motoneige au Svalbard, on n’est rien. Du moins, on ne va pas très loin. En hiver, les grosses bécanes à chenillettes et patins sont le seul moyen de se déplacer pour quitter la ville de Longyearbyen, où l’on ne compte que vingt kilomètres de routes asphaltées. Pendant l’été, elles attendent, sagement garées en ligne au pied des immeubles. Il y en a partout, à chaque coin de rue. Certaines rouillent et pourrissent, abandonnées. On dit qu’elles sont plus nombreuses que les habitants. Dès le mois de novembre, elles reprennent vie et leurs vrombissements résonnent quotidiennement dans le lit de la rivière, juste derrière chez moi. J’ai acheté une motoneige dès mon premier hiver. On m’a bien fait comprendre que si je n’en avais pas, je n’allais pas beaucoup sortir de chez moi. OK, pourquoi pas. Après tout, j’ai bien conduit un scooter pendant des années à Paris. Si ici, le prix de la liberté c’est d’acquérir une motoneige d’occasion, allons-y ! Avec elle, j’ai parcouru des kilomètres au nord, au sud et jusque sur la côte est du Spitzberg, l’île principale du Svalbard, juste pour le plaisir d’aller voir le bleu éclatant des glaciers majestueux, pour me rendre aux pieds des montagnes que j’ai montées puis descendues en ski de randonnée ou pour aller passer une ou deux nuits dans une cabine isolée, dans un fjord voisin, sans eau et sans électricité. Rien ne laissait penser que j’apprécierais la conduire par – 25 °C à travers banquise et glaciers.
Carnet de voyage d’Oriane Laromiguière à découvrir dans le Numéro 62
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