Bénarès : ruelles tortueuses & dieux en pagaille
On n’est jamais seul en Inde. Où que l’on soit, il y a toujours quelqu’un pour venir te parler. Et dès que tu commences à parler à quelqu’un, viennent d’autres Indiens. Puis d’autres Indiens encore, qui te regardent parler. Fixement. Au début, j’étais un peu intimidé, c’est vrai. Puis je me suis rappelé les vidéos canadiennes sur « Que faire lorsqu’on rencontre un ours en forêt ? ». Ainsi, je conserve mon espace : j’écarte les jambes en une posture virile, et regarde chacun d’eux en souriant (mais pas trop).
En observant mes interlocuteurs, j’ai toujours cette impression fausse d’être le premier Occidental qu’ils croisent. En plus d’un certain appât du gain, je sens un véritable plaisir à me parler. C’est très agréable. Les ados s’y amusent beaucoup. Peut-être est-ce là une occasion de parler anglais (j’étais comme ça). C’est fréquent qu’autour de ces rencontres, on t’offre un peu d’eau, un thé. Un truc très rigolo, c’est d’aller dans un resto fréquenté que par des locaux, tu es assurément une vedette : un jour, absolument tous les clients se sont arrêtés de manger et de parler pour me regarder. Longtemps.
Les bonnes et les mauvaises rencontres ont ceci en commun qu’elles mettent en garde vis-à-vis d’autres inconnus : qui va t’arnaquer, qui va t’emmener dans une boutique où ils toucheront une commission ou dans un faux office de tourisme. « Ils vont te voler, ils vont t’empoisonner ! » entend-on. Même s’il faut raison garder, il faut reconnaître que les deux premières présomptions se vérifient assez souvent hélas. De façon générale, les gens sont charmants, mais les relations sont biaisées par l’argent. Même l’employé (je simplifie) aux crémations rituelles des corps au bord du Gange m’a proposé de visiter une boutique de soie…
De toutes les personnes rencontrées jusque-là, certaines m’ont touché plus que d’autres, car nos discussions allaient au-delà de l’interrogatoire de police typique : « D’où es-tu ? Quel âge as-tu ? Es-tu marié ? As-tu des enfants ? Où travailles-tu ? » etc. Par exemple Balto, le vétérinaire bhoutanais prof de yoga qui me donne des conseils d’orientation, Mansouri du Cachemire qui préfère l’haltérophilie à l’islam et qui raconte ses frasques sexuelles aéronautiques, Hazrat Malang Baba Gul Ali Shah Peer Baba, le vieux Soufi qui m’offre un thé sur une aire d’autoroute et qui me déclare son « godfriend », la belle Fulmani qui m’a si bien conté sa ville et sa religion qui veut se payer des études, elle a seize ans et vend des cartes postales depuis huit ans. Elle me met en garde contre les arnaqueurs et me fait jurer de venir à notre rendez-vous en prenant mon petit doigt dans le sien.
© Carnet de voyage de Fred Lauk à découvrir dans Numéro 28
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