Bioko, une histoire impénétrable
– EXTRAIT –
La pluie, les arbres, le chant des oiseaux. Derrière les nuages, si près du ciel, se dresse l’île de Bioko. De l’autre côté du golfe de Guinée, elle fait face au mont Cameroun et ses quelques 4 040 mètres de pentes boisées. Pourtant, un océan les sépare. Coiffée au nord par le pic Basilé, plus haut sommet du pays, visible depuis la capitale les jours de beau temps et emmenant la forêt au-dessus des nuages, à 3 011mètres d’altitude, l’île semble avoir connu un développement bien différent de celui du continent. Le temps ne s’y est pas arrêté, mais il y paraît plus ancien.
En août 2022, pendant deux semaines, et alors que la saison des pluies entendait ne nous laisser aucun répit sur cet écrin de jungle perdu dans l’Atlantique, nous avons battu la forêt, à la recherche d’un primate énigmatique et iconique, endémique d’Afrique de l’Ouest : le drill. Sur l’île, pas de données, pas d’informations ni de preuves, mais des rumeurs, des bruits qui courent, et des fantômes. À trente minutes de route seulement de la capitale Malabo, le parc national de Pico Basilé est un vivier pour la population de Bioko, majoritairement originaire d’Afrique Centrale continentale, et dont les traditions partagent ici leurs racines avec celles des plus vieux arbres. Malgré la religion et les colons, la chasse, le chant, et la jungle demeurent au centre de la vie.
La dernière expédition scientifique au sein du Parc national de Pico Basilé remonterait aux années 1970, avant que le pays ne choisisse de restreindre ses contacts avec le monde.
L’absence par ailleurs d’institutions véritablement actives et d’outils pénaux suffisamment dissuasifs en matière de protection environnementale laissent libre cours à une rapine sans concessions des denrées animales. Le bruit des épaisses gouttes de pluie s’écrasant avec fracas sur les feuilles de la canopée est désormais bien seul, celui des animaux a délaissé la forêt, et le silence a fini par envahir les pentes du pic Basilé.
Au moment de s’enfoncer dans la jungle, qui couvre ici plus de 90 % du territoire, alors que les nuages s’amoncellent et que la brume se fait plus épaisse, l’écho des premiers Hommes murmure à travers les feuilles. La dernière expédition scientifique au sein du Parc national de Pico Basilé remonterait aux années 1970, avant que le pays ne choisisse de restreindre ses contacts avec le monde.
Sur la piste du drill, plus grand des sept espèces de singes que compte l’île, nous nous frayons un chemin là où la lumière elle-même peine à gagner le sol. Les gens d’ici assurent en avoir vu, et même tué, ils nous promettent qu’il se cache là, dans les pentes abruptes du parc. Pourtant, si l’espèce est bien présente au Sud de l’île, dans la Réserve scientifique de Luba, aucune donnée n’a jamais été rapportée au sein du Parc national de Pico Basilé, il s’agirait alors d’une nouvelle population pour l’espèce.
Carnet de voyage de Laurent Dumas à découvrir dans Bouts du monde 54
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