Jean-François Lagrot - Morses
Carnet de voyage - Russie

Chasse aux morses dans le détroit de Béring

Il faut du temps pour rejoindre les rives de la mer des Tchouktches en Sibérie. Et c’est tant mieux, considère Jean-François Lagrot. Car avant d’aller observer la migration des morses, sur la côte nord-ouest du détroit de Béring, le corps et l’esprit ont besoin d’appréhender ce changement radical d’environnement.

– EXTRAIT –

J’ai voyagé longtemps pour arriver en ce mois d’août 2017 jusqu’aux rivages de la côte tchouktche. Lentement, au gré des éléments, du vent surtout, et de connexions de plus en plus incertaines au fur et à mesure que je m’éloignais des zones habitées. Onze vols m’ont été nécessaires pour parvenir et pour m’extraire de cette côte. Le voyage au départ de France a duré quatorze jours, celui du retour une dizaine. Durant les quatorze jours que j’ai en grande partie passés à attendre les conditions météorologiques favorables à ma progression, j’ai mesuré à quel point cette terre proche du détroit de Béring était à la fois le bout du monde et son origine perdue dans notre époque. A Khabarovsk, où j’ai fait escale 24 heures, la vie s’écoulait encore conforme à ce que je connaissais en Europe malgré la présence de l’exotique fleuve Amour et d’une Chine toute puissante sur l’autre rive.

Maksim Chakilev m’attend au pied de l’avion. Âgé d’une trentaine d’années, calme et joyeux, le biologiste parle à peine anglais ; de mon côté, je ne connais que quelques mots de russe. Ensemble nous allons pourtant passer plus d’un mois à surveiller la migration des morses dans une petite baie du Cap Serdtse Kamen’

Le choc eut lieu lors de l’étape suivante, à mon arrivée à Anadyr ou plutôt en montant sur le bac que l’on doit emprunter pour parvenir à la capitale de la province de Chukotka. L’eau du fleuve Anadyr est aussi noire que le ciel qui la surplombe, le courant est puissant, les tourbillons ont des reflets métalliques. Les nuages qui filent à vive allure semblent s’effilocher sur l’arête de blocs d’immeubles dont les silhouettes sombres dessinent une ligne chaotique sur l’horizon. Maksim Chakilev m’attend au pied de l’avion. Âgé d’une trentaine d’années, calme et joyeux, le biologiste parle à peine anglais ; de mon côté, je ne connais que quelques mots de russe. Ensemble nous allons pourtant passer plus d’un mois à surveiller la migration des morses dans une petite baie du Cap Serdtse Kamen’sur la côte au nord-ouest du détroit de Béring où le mammifère marin vient faire escale avant la traversée du détroit. Une traversée qui est pour lui la promesse d’un hiver sous des latitudes plus clémentes (…)

Je ne sais pas ce qui m’attend mais j’aime déjà cette rudesse, cette nudité du paysage, cette toundra monotone… Maksim, lui, connaît bien la baie vers laquelle nous nous dirigeons, étape après étape. Depuis 2011, il y a déjà passé de nombreux mois d’été avec pour compagnie quelques dizaines de milliers de morses, une famille d’ours bruns et parfois un ours polaire égaré dans l’été arctique.

Carnet de voyage de Jean-François Lagrot à découvrir dans Bouts du monde 51

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