Cimes et brigands en Corse
– EXTRAIT –
Il y avait là à peine vingt à trente maisons, pour la plupart assez petites, mais contrairement à celles que nous avions vues jusque-là, elles étaient lisses, blanchies à la chaux.
Quand nous faisions notre entrée dans des villages inconnus, après avoir passé du temps dans la montagne, nous étions habitués à être regardés avec une profonde méfiance. Compte tenu de l’air qu’on arborait à ce moment-là, ce n’était pas vraiment étrange. Les gens avaient sans doute l’habitude de voir arriver des bandits, mais pour eux, nous étions un genre nouveau, dont ils se méfiaient au plus haut point.
Toutefois, l’attitude de ces villageois nous sembla quelque peu différente de celle des autres, chez qui nous avions provoqué la peur, compte tenu de notre allure. Ici, les habitants avaient l’air curieux, mais sans jamais nous donner l’impression qu’ils étaient effrayés. Un groupe d’une vingtaine d’hommes de différents âges se rassembla, avec derrière eux un nombre considérable de femmes. Ils se postèrent dans une attitude d’expectative, sans jamais nous donner l’impression qu’ils étaient sympathiques, le moins du monde.
Comme à l’habitude, nous fîmes quelques ouvertures gentilles et pacifiques qui, à l’évidence ne les impressionnèrent guère. C’est alors que George, comme il se doit, décida d’avoir recours à notre manuel de conversation.
Le principal problème de ces guides, c’est que l’on se trouve souvent dans des situations que l’auteur dudit manuel n’a pas prévues. (…) Toutes ces phrases sont destinées à créer une ambiance conviviale et chaleureuse, mais quand les réponses prédites par le guide ne se matérialisent pas, aucune atmosphère amicale ne peut se développer.
Pendant les efforts désespérés de George pour établir une conversation avec l’aide du guide, les hommes avaient formé autour de nous un demi-cercle, et même pour quelqu’un qui n’est pas particulièrement versé en stratégie militaire, il était clair que ce qu’ils essayaient de mettre en place, c’était bel et bien un mouvement d’encerclement. Après un temps, cette situation commença à devenir quelque peu gênante.
La vieille méthode qui consistait à faire surgir des cigarettes, les allumer puis les offrir à la population locale n’eut pas le moindre effet, et on eut de plus en plus l’impression d’être arrivés en un lieu où on était loin d’être bienvenus, et où on n’aurait peut-être pas dû se présenter. On avait déjà commencé à envisager la possibilité de battre en retraite précipitamment, quand une autre femme surgit et s’adressa à la horde d’hommes qui nous encerclaient dans une langue dont nous ne comprîmes pas le moindre mot mais sur un ton qui ne laissait pas douter qu’elle avait l’habitude de commander.
Un carnet de voyage en Corse de 1909 à découvrir dans Numéro 26
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