Colombie : mal de mer
Nous avons trouvé un cargo qui quitte le port le soir même, au départ du bidonville, avec une cargaison de je-ne-sais-trop-quoi, peut-être du bois exotique. Il peut nous emmener pour 120 000 COP par personne. Le départ se fait à la tombée de la nuit, paiement en liquide. Et le bateau arrive le lendemain midi. Nos deux nouveaux compagnons semblent exaltés, ils nous font rêver avec les parcs naturels, les mangroves autour de Nuqui, les cascades qui se jettent dans la mer. Ils hèlent un taxi.
L’après-midi n’est qu’une longue attente. C’est une exaltation mêlée à de la peur, le plan n’est pas hyper balisé. Nous nous sentons comme avant un grand rendez-vous ou une compétition sportive. Chacun de nous reste concentré dans son coin, mettant en place son rituel de préparation. Les affaires les plus précieuses seront, pour moi, sur le haut du sac. Corinne fait le choix de cacher de l’argent dans ses baskets. Faut-il mettre le cadenas que j’emporte toujours avec moi pour les transports en soute ?
Nous repérons le trajet sur notre carte, afin de vérifier si nous aurions la force de nager jusqu’à la terre ferme au cas où on nous passerait par-dessus bord. Nous rangeons les appareils photo et les passeports dans un petit sac étanche dont nous nous promettons de ne jamais nous séparer quoi qu’il arrive. A 16 h 30, Corinne a bouclé son sac, elle sort de la petite chambre pour prendre l’air et rester seule. L’isolement pour mieux se recentrer.
Les cris et les souffles rythment notre attente sur le trottoir. Des hommes athlétiques défilent avec d’importantes poutres en bois sur l’épaule. Ils remplissent toujours plus les camions dont les suspensions semblent déjà flancher sous le chargement. C’est une ronde de pieds nus qui montent et descendent la planche de bois humide placée là en guise de rampe. La nuit tombe, le soleil couchant donne des reflets dorés à ces dos noirs trempés de sueur. Puis celui qui semble être le contremaître hurle, les hommes s’éloignent. Le camion démarre dans un fracas de craquements. Les roues, pourtant profondément enfoncées dans la boue, s’arrachent à la terre et, lentement, le camion libère l’accès à l’embarcadère.
Au lieu d’un cargo, c’est une sorte de chalutier dont le pont a été entièrement recouvert de la cargaison à livrer qui nous apparaît. Malgré l’obscurité, il est facile de distinguer les nombreuses taches ou trous de rouille et, assurément, sa surcharge.
© Carnet de voyage de Matthieu Haag à découvrir dans Bouts du monde n°29
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