De long en large
– EXTRAIT –
En janvier-février 2013, j’ai entrepris l’une de mes expéditions chamelières les plus risquées, dans les Erdis, sur les confins nord-orientaux du Tchad. C’est celle aussi qui me demanda le plus de préparation. Il faut dire que j’ai mis trente-neuf ans à la penser, sans savoir si elle se concrétiserait un jour. Lors de mon séjour au Tchad, de 1973 à 1976, j’avais été fortement poussé par le professeur Théodore Monod à explorer les Erdis, ce qu’il n’avait pas eu lui-même le temps de faire en décembre 1966 – janvier 1967, lors de son exploration de la lisière sud de cette zone tchadienne, dans le Mourdi. Pour des raisons politiques évidentes, je n’avais pas eu la possibilité de répondre à cette proposition. En 2013, les conditions de circulation ayant été parfaitement sécurisées, je me faisais un immense plaisir de répondre enfin à la bienveillante attention de feu mon maître le professeur Monod. Je me proposais d’effectuer une méharée exploratrice des Erdis où je serais le seul Européen, accompagné de deux chameliers goranes.
Les Erdis sont des plateaux gréseux délimités par des falaises dont l’élévation ne dépasse pas cent cinquante mètres. Avant mon départ, mon intention était de retrouver les traces de l’illustre seigneur des Erdis, Mohammed Erbeïmi. Il avait été le chef d’un groupement toubbou qui étendit son territoire de nomadisation vers l’Erdi-Mâ et le Nord de l’Erdébé dans l’Ennedi oriental, au moment même où débutait la conquête coloniale.Entrée en dissidence contre l’autorité coloniale en 1916, la bande d’Erbeïmi avait ses retranchements dans les Erdis. Réduit à des conditions de vie misérables après deux ans de continuels harcèlements par les Français, lassé par tant de revers, marqué par le massacre de son groupe et des membres de sa famille par les méharistes, Erbeïmi s’est finalement rendu en décembre 1918 au gouvernement anglais du Soudan, à Furawia, où il mourut en prison en 1927. Très vite, mon objectif s’est avéré ne pas concerner seulement Erbeïmi. Sans vouloir rechercher quelque chose de précis, mon intérêt était pluridisciplinaire : géologique, archéologique, historique, faunistique et floristique. La question de principe ainsi réglée, restaient les détails d’une organisation logistique locale.
Les cinq chameaux que je demandais furent vite trouvés et rassemblés, ce qui n’aurait certainement pas été le cas depuis Démi. L’exploration des Erdis m’obligeait à marcher le long des frontières du Soudan et de la Libye
Carnet de voyage de Thierry Ghabidine Tillet à découvrir dans Numéro 39
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde