Défaire l’horizon
– EXTRAIT –
Le voyage a commencé neuf mois plus tôt par un pari, alors que nous étions dans une cabane au fond des bois. Nous avions fait une halte au point précis où trois pays se rejoignent. Pendant trois jours, nous avions photographié leurs frontières tantôt invisibles faites de rivières, tantôt marquées par un grillage découpant la taïga comme une cicatrice.
Un soir, nous étions allongés sur un ponton en bois au milieu du lac Goldajärvi, sous l’énorme cairn de béton marquant avec précision le point où se touchent la Suède, la Norvège et la Finlande, rêvassant la tête dans les étoiles – nous n’en n’avions jamais vu autant sous ce ciel clair dépourvu de pollution, y compris lumineuse. C’était beau. À l’horizon, plein nord, la lune, reflétant la lumière du soleil depuis longtemps caché loin vers le sud, éclairait les premières montagnes enneigées de Norvège. Et puis, juste derrière, nous imaginions les fjords, la rencontre de la mer et des montagnes, les paysages et villes du Grand Nord européen aguicheurs sur lesquels nous fantasmions. D’un coup, je rompis le silence de la rêverie et de la contemplation que nous offrait un tel spectacle naturel. « Allons au cap Nord ! Cet été ! En auto-stop ! » Nous étions là, au point le plus septentrional de la Suède, non loin de la ville de Kilpisjärvi en Finlande dans un endroit qui nous emplissait de quiétude. Mais voilà, nous effleurions à peine la Norvège, pays que nous imaginions prometteur dans notre quête de grandeur de la nature et de paysages nordiques.
Nous avions déjà l’impression d’être au bout de quelque chose. Cette nature sauvage, où la taïga devient toundra, où nous étions coupés de tout autre être humain, où nous vivions avec le rythme du jour, l’eau de la rivière pour cuisiner et nous laver, le bois des arbres alentour pour nous chauffer et faire du thé. Nous étions bien. Pourtant, tel un appât, l’apparition de ces rivières et de la route filant droit vers la Norvège nous appelait à les suivre, à poursuivre encore plus loin, à aller au bout de la route, où la terre s’arrête pour céder la place à l’océan Arctique. Malheureusement le temps nous manquait pour rallier le cap Nord et cela nous frustrait terriblement.
Nous voulions aller aussi loin que possible, prendre le temps, sentir la distance, la longueur de la terre, voir les paysages lentement se transformer. Partir sous le soleil de plomb provençal pour nous rendre où le soleil ne se couche plus en été. Rallier la mer de Barents depuis Arles.
Nous rêvions de voir un bout de notre monde, celui du continent européen, de circuler dans les pays de l’espace de liberté nommé Schengen. Nous avons coché une date, le 10 juillet 2016, pour nous lancer sereins en direction du cap Nord, en auto-stop.
Carnet de voyage de Florian Maurer et Margot Laurens à découvrir dans Numéro 34
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