Des cimes & des ornières
– EXTRAIT –
Calicots tendus, affiches murales, drapeaux, Manali est en effervescence. La communauté des réfugiés tibétains attend la venue du Dalaï-Lama. Simon, un Anglais qui roule avec nous depuis Srinagar, va rejoindre l’amie qui l’attend. Mais il reviendra vers nous car il veut être de notre projet : tenter une première, la liaison, à bicyclette, Manali-Leh-Srinagar, par une des routes les plus hautes du monde. Dans ce sens l’itinéraire vient tout juste d’être autorisé aux étrangers.
Les informations sont succinctes et divergentes. Les cartes, elles, sont très imprécises. Elles ne facilitent pas la préparation de ce qui prend des allures d’expédition. Cette zone, un désert des hauteurs recouvert de neige neuf mois de l’année, s’étend de Manali à Leh. Elle n’est ouverte aux étrangers que depuis deux ans. Selon certaines sources, le voyage ne serait possible qu’en groupes organisés sous escorte de police.
Achats de vivres pour quinze jours : pâtes à cuisson rapide, beurre, fromage, chocolat, miel. Un boulanger récemment installé nous fait du pain, du vrai pain. Chez le ferblantier, au poids, nous faisons l’acquisition d’une bouilloire et d’un faitout. Le quincaillier nous vend un jerrycan d’essence pour le réchaud. Les vélos sont révisés, le matériel de camping vérifié.
Des voitures, des bus vont aussi au col de Rothang. Cela signifie-t-il qu’il est ouvert ? La chaussée est très mauvaise et très pentue. Progression très lente, épingles à cheveux aux pourcentages brutalement assassins, nids-de-poule, fissures gelées. Sur les bas-côtés, les autochtones ont installé des stands. Ils louent bottes et manteaux pour permettre aux touristes indiens d’aller voir la neige.
L’ascension se fait dans l’ambiance bon enfant des vacances. Marquant leur étonnement des mains et de ce balancement latéral de la tête qui n’appartient qu’aux gens du pays, des conducteurs semblent désapprouver notre équipée, d’autres klaxonnent pour nous saluer. À quatorze kilomètres de notre objectif, nous dressons le bivouac. Mieux vaut dormir au sec que sur un sol détrempé ou enneigé. Premier soir sous des milliers d’étoiles vives, mouvantes, filantes même.
Au matin, nous reprenons la montée interrompue. Ce que nous redoutions un peu est là devant nous : un poste de police. Nous avons l’impression qu’il faut montrer patte blanche pour pouvoir aller au-delà de la barrière. De loin, nous observons. Lorsque la dernière voiture s’en est allée, nous approchons. Nul ne s’intéresse à nous. Nous nous glissons sous l’obstacle. Pas de coup de sifflet, pas de cris, surtout ne pas se retourner…
La suite du carnet de voyage de Paule et Arthur est à lire dans Numéro 33.
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