Doucement, doucement
EXTRAIT :
On démarre enfin ; la matrone assise à côté de moi parle très bien le français. Tant mieux, car mon petit doigt me dit que nous allons avoir beaucoup de temps pour faire connaissance. Elle s’appelle Mboty Razafinandrasanava.Je répète une douzaine de fois son nom de famille en l’écorchant à chaque tentative. La prononciation n’est pas des plus simples, ce qui est aggravé par le fait que de nombreux mots malgaches comptent un minimum de cinq syllabes. Je me présente à mon tour, mais avec mon petit patronyme, qui visiblement la laisse sur sa faim, je dois faire figure de parent pauvre.
Nous roulons depuis dix minutes lorsque le chauffeur s’arrête. Il descend sans explication et disparaît plus d’une heure. Nous descendons nous mettre à l’ombre, personne ne pense à se plaindre. La carlingue chauffée à blanc n’est supportable que lorsque le bus roule, sinon … On se serre la main, se présente respectueusement. Personne n’évoque le chauffeur, l’important réside dans les présentations.
Assis sur une natte posée sur le sable rouge, je comprends autre chose ; en fait, ce qui se profile, ce n’est pas vraiment un voyage habituel en bus. Ici, cela ressemble plutôt à une entreprise commune, on tend vers la même destination à plusieurs voyageurs. Un peu l’ambiance d’un bateau. Enfin le capitaine revient. Il est chargé d’une chèvre rousse bêlante. « Pas de place en haut » lui explique le préposé aux bagages. « Assez perdu de temps », estime-t-il (Depuis six heures que nous sommes dans le bus, nous traversons encore des hameaux dépendant de notre ville de départ). Joignant l’acte à la parole, il attache l’animal sur le capot. Nous reprenons nos places ; songeur, je regarde la petite chèvre qui roule des yeux terrorisés. Avec ce soleil de plomb, elle sera cuite pour l’étape suivante si tout se passe bien. Notre nouvelle figure de proue ligotée sur l’étrave, la grande traversée peut commencer. (…)
Sacrifier dans son sac, un vêtement au profit d’un livre traitant de la région que l’on visite, évite toutes formes d’ennuis. Non seulement, c’est intéressant, mais la curiosité est une attitude contagieuse, qui gagne bientôt les autres passagers.
Enfin, les paysages sont là ! On abandonne donc sans regret la végétation luxuriante de l’Est, pour gagner l’Ouest et les terres arides qui prédominent dans le sud malgache. D’ailleurs, le Grand Sud,ou « Patagonie malgache » ressemble un peu au Mexique par la présence de plantes dites « succulentes » qui jalonnent l’itinéraire. J’aperçois sans mal l’A. procera, parfois appelé arbre pieuvre à cause de sa forme tentaculaire. Les pauses sont nombreuses et il est facile de repérer des fleurs jaune vert, le népenthès, en forme de cruche qui contient un liquide visqueux qui attire et absorbe les insectes. (Ces plantes existent aussi en nombre à Bornéo où d’immenses spécimens auraient, paraît-il, digéré des rats). Ici, plus modestement elles se contentent de minuscules fourmis. Enfin se dessine la fantastique forêt d’épineux, avec plusieurs espèces de baobabs, dont l’alluaudiaaux épines en forme de spirales, le didiereaaux piquants épars et l’euphorbe qui évoque un candélabre.
Sacrifier dans son sac, un vêtement au profit d’un livre traitant de la région que l’on visite, évite toutes formes d’ennuis. Non seulement, c’est intéressant, mais la curiosité est une attitude contagieuse, qui gagne bientôt les autres passagers. D’ailleurs, peu après, c’est Mboty qui, ici, me signale une pervenche, ou, là, un rateka, une figue de barbarie qui sert de nourriture au bétail, ou encore un sisal (Agave), donton fait de la corde dans la région.À retenir, car le « truc » marche aussi pour les oiseaux, la faune ambiante…
Carnet de voyage de Laurent Van Parys à lire dans Bouts du monde 46
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