Matthieu Delaunay à ski tire une pulka
Carnet de voyage - Canada

Echappée glacée

Beau à en pleurer, écrit Matthieu Delaunay alors qu’il traverse à ski la Basse-Côte-Nord du Québec. Dur à en pleurer aussi. À -35 °C, il vaut mieux rester à l’extérieur des abris assis sur sa luge, car le confort peut être aussi anesthésiant que le froid.

– EXTRAIT –

C’est toujours comme ça les voyages : ça commence par des adieux, un peu de tristesse au cœur et la tête qui flanche. Alors, il faut marcher et ne pas trop regarder la porte que l’on vient de refermer doucement derrière soi. Au départ de la rivière Natashquan, j’ai les jambes flageolantes et les yeux qui piquent, chargés d’émotion de me lancer enfin sur cette piste blanche dont je parle depuis trois mois et vers quoi j’ai projeté tant de pensées. Il y a longtemps que je souhaitais me frotter à moi-même pour comprendre ce que j’ai dans le ventre.

Eh bien j’y suis. Maître à bord d’un petit vaisseau composé d’une paire de skis et d’un traîneau, j’allonge la première foulée sur la route qui me mènera, de village en village, le long de cet ultime bout de Québec qu’on nomme la Basse-Côte-Nord. Je pars en premier lieu à la rencontre de cette géographie pour mesurer la beauté que cette région offre en éprouvant le froid dans mes muscles. Je me mets aussi en marche pour aller parler aux hommes et aux femmes qui peuplent, avec les bêtes, ces lieux depuis tant d’années. Innus et Inuits, Blancs francophones et anglophones, j’ai tant de questions à leur poser, tant de choses à comprendre.

Tendu vers cette ambition, j’avale ma première journée d’effort la tête dans les skis et les yeux sur la boussole jusqu’à Kegaska. Quand le ciel meurt ce soir-là, j’ai déjà mal aux pieds et je comprends que c’est parti pour durer cinq cents kilomètres. Je me faufile sous la tente. En retirant mes chaussures, je pousse un cri : la peau des ampoules est venue avec la chaussette et les plaies sont désormais à vif. Je désinfecte avec soin, me fourre dans mon duvet – 40 °C, et entreprends d’allumer mon réchaud dans le vestibule pour faire fondre de la neige. Je bois deux litres d’eau d’une traite. Comme un automate, saoulé de fatigue et d’appréhension, je couche quelques pensées dans mon carnet. Le regard vissé au plafond qui frémit, je pense à ce que je suis en train de faire. Puis, de l’index, j’éteins la lumière de ma frontale et dors comme une souche.

Carnet de voyage de Matthieu Delaunay à découvrir dans Numéro 47

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