
En pente douce vers l’océan Indien
– EXTRAIT –
Ampitambe, Ranomena, Andrambovato, Madiorano…. Tous les dix ou quinze kilomètres, le train marque un nouvel arrêt. À mesure que l’on progresse, la dimension des gares – tantôt grossier quadrilatère de béton, tantôt baraquement de briques – comme celle des villages diminue, et donne le sentiment de s’exiler loin de tout. Les petites cases sur pilotis, faites de ravenala, s’alignent de chaque côté du rail. La ligne compte dix-sept arrêts au total selon la brochure dont l’achat en gare de Fianarantsoa permet de soutenir les villages et le train. Dix-sept gares donc, mille mètres de dénivelé (et autant de grincements de roues), 67 ponts, 48 tunnels, 163 kilomètres de rail et huit heures de voyage. Ce dernier chiffre demeurant, de toute évidence, le plus approximatif de tous. Ce brillant raccourci mathématique manque cependant un peu d’humanité. Car derrière les chiffres, nombreux sont les villageois dont le quotidien repose entièrement sur le maintien de la ligne.
Kilomètre 54 : village de Madiorano, 609 mètres. Les quais, ou ce qu’il en reste, sont envahis de piles de régimes de bananes. Les fruits sont chargés dans le dernier wagon, mais aussi du riz et quelques porcs récalcitrants dont la manutention turbulente fait rire tout le monde. C’est leur vie à tous qui dépend du F.C.R. En mars 2 000 deux cyclones successifs ont détruit des portions de rail. Une calamité pour les nombreux producteurs mais aussi pour les dizaines de vendeurs qui offrent aux voyageurs de quoi se ravitailler à chaque arrêt. Il n’est pas encore l’heure de déjeuner à Madiorano, mais on se laisse tenter par tous ces abondants plateaux généreusement portés à bouts de bras vers les fenêtres du wagon, par crainte de ne pas trouver si beau et si bon à la gare suivante. Voici beignets, mofo gasy, pêches sucrées, sambos (samoussas), bananes, manioc, maïs chaud, saucisses, sésame caramélisé, café, poissons fumés ou encore de superbes écrevisses prises d’assaut. Certains vendeurs proposent même des cigarettes et des boissons hygiéniques (sodas) presque tièdes.
Derrière ce magnifique ballet de vendeurs se tient toujours une assemblée de spectateurs. De nombreux zazakelys, des femmes souriantes, bébés sur les hanches, ou des vieillards bancals. Tous semblent guetter le train comme une brève séance de cinéma quotidienne, une bouffée de diversion acheminée par le rail.
Derrière ce magnifique ballet de vendeurs se tient toujours une assemblée de spectateurs. De nombreux zazakelys, des femmes souriantes, bébés sur les hanches, ou des vieillards bancals. Tous semblent guetter le train comme une brève séance de cinéma quotidienne, une bouffée de diversion acheminée par le rail. Certains nous lancent des « ça va vazaha ? » puis, gênés, pouffent de rire, laissant apparaître une dentition en ruine. Dans un coin, un homme joue de la kabosy (kaboche), le ukulélé malgache que l’on surnomme aussi joliment « le petit luth des bouviers ». J’espère que le train tardera à repartir pour en profiter encore un peu. Mais lui ne voit personne, il joue. Il ne se retourne même pas vers Reno qui le photographie.
J’observe cette foule bigarrée en songeant à la méprise de ceux qui, comme moi, pensaient cette île africaine. Madagascar c’est une brisure d’Afrique, détachée du continent noir il y a soixante millions d’années, où débarquèrent les premiers habitants venus d’Indonésie il y a 2 000 ans. Les Malgaches nous évoquent plus souvent les Birmans avec toute la retenue qui caractérise ces derniers. Même humilité, même manière de s’excuser d’être là – azafady (pardon) répètent-ils sans cesse. Plus tout à fait l’Afrique mais pas encore l’Asie, ce pays semble avoir reçu le meilleur de deux mondes pour en faire une terre hybride égale à nulle autre.
Carnet de voyage de Claire & Reno Marca à découvrir dans le Numéro 61
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