En selle sous les étoiles
EXTRAIT :
Je me suis retournée pour vérifier si notre guide nous suivait. La silhouette immobile de Nergui sur le cheval rétrécissait au fur et à mesure que j’avançais. Mais il était urgent de trouver un endroit où dormir au chaud. Après trente-cinq kilomètres à dos de nos bêtes sous un astre trop clément, mon genou m’élançait. L’avant-veille, mon compagnon de route Adrien était tombé malade. Était-ce le soleil ou les intestins de mouton ? Il s’était employé à goûter des viscères entassés dans un baquet bleu, malgré leur aspect peu appétissant. Grand, il tenait encore par je ne sais quel miracle sur sa selle. Durant cinq jours, nos corps s’étaient chargés du quotidien âpre à cheval, de baignades dans les rivières fraîches et de franches rigolades avec Nergui. À présent, le poêle central des demeures rondes mongoles était devenu une obsession après tant d’heures vissés sur la selle.
Il faisait nuit noire et je ne voyais plus la couleur de mon cheval. Dans mon souvenir, il était d’une couleur chaude entre le miel et le brun. J’avançais d’un pas décidé, balayant le sol herbeux avec une minuscule lampe de poche. La lune ne s’était pas encore levée. Si nous allions bon train et si nous ne nous égarions pas dans le noir environnant, une ger nous attendait à dix kilomètres de là, selon notre guide – il fallait encore deux heures et demi d’équipée en tenant le cap droit devant nous pour y arriver. Alors qu’avec Adrien, nous nous enfoncions dans les ténèbres, Nergui, resté immobile, nous suivait des yeux, médusé. Dans les ténèbres, j’ai deviné le sourire hilare d’Adrien, sans me laisser départir du nouveau rôle de meneuse d’expédition mongole que j’endossais. Notre jeune guide Nergui avait quatorze ans, même s’il se targuait d’en avoir quatre de plus.
Petit, il était engoncé dans une combinaison brune, les hanches contenues dans une ceinture jaune brillant. Une casquette bleue cachait ses cheveux courts. Il était débrouillard et rieur, et un futur excellent guide. Mais là, sa jeunesse ne faisait pas le poids face à l’imprévu. Je menais donc notre petite troupe dans la nuit, marchant à côté de mon cheval que je tenais par la longe. Adrien était en selle derrière moi. J’étais descendue de ma monture depuis une heure au moins, malgré les réticences de Nergui. Pour un Mongol, avancer à côté d’un cheval était-il une honte ? Je m’en moquais, marchais le menton à hauteur des yeux de ma bête, pour entendre son souffle, les yeux fixés sur l’horizon qui s’étirait à perte de vue.
Le carnet de voyage à découvrir dans Bouts du monde Numéro 42
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde