Exploration minutieuse en Alaska
-EXTRAIT-
Fairbanks, Alaska, été 2023. Sur le campus de l’université, les fouilleurs finissent leur formation de défense contre les ours et d’utilisation du bear spray, ce gaz poivré à avoir sur soi tout le temps. Le ciel est orangé, enfumé. Les yeux, les narines et la gorge sont irrités. Comme chaque année, les feux de forêt se multiplient un peu partout en Alaska. J’ai vu pire, mais j’ai vu mieux aussi. Dans la résidence universitaire, des dizaines de pompiers venus en renfort de tous les États patientent pour se reposer dans une chambre. Regard hagard, la fatigue et les flammes dans les yeux, certains sont allongés dans le hall et n’attendent pas un lit pour reprendre des forces. L’Alaska brûle, le Canada brûle, l’Europe brûle, le monde brûle. Mais Tout va très bien Madame la Marquise. Sur mon téléphone je regarde en temps réel l’extension de l’incendie d’Anderson, actuellement le plus proche de la zone de fouille. Il est toujours sous contrôle. (…)
À hauteur du Mile 252 et 251, un croisement. Les aventuriers prendront à droite pour suivre la Stampede Trail et faire le pèlerinage jusqu’au Magic Bus de Into the Wild où est mort Christopher McCandless. Mais attention, spoiler : le bus n’y est plus
Deux heures de route séparent Fairbanks de Healy. La première heure, jusqu’au village de Nenana, est un peu monotone une fois qu’on a parcouru cette route plusieurs fois : du conifère, du bouleau, encore du conifère et encore du bouleau. Une fois qu’on s’engage dans la vallée de la rivière Nenana, le paysage se diversifie un peu et on entraperçoit la chaîne d’Alaska (the Alaska Range) où culmine le mont Denali, le plus haut sommet d’Amérique du Nord (6 190 m). Nous sommes à quelques kilomètres de Healy et nous arrivons bientôt dans notre lieu de campement. Tout au long du périple, la fumée se fait sentir, un voile constant est présent dans l’atmosphère. Nous passons à proximité de notre site archéologique, Little Panguingue Creek (à prononcer « Pan-gui-né »), du nom du ruisseau le plus proche. À hauteur du Mile 252 et 251, un croisement. Les aventuriers prendront à droite pour suivre la Stampede Trail et faire le pèlerinage jusqu’au Magic Bus de Into the Wild où est mort Christopher McCandless. Mais attention, spoiler : le bus n’y est plus. Trop de touristes égarés année après année (dont quelques décès) et trop de dépenses en sauvetages par hélicoptère. Le bus a été retiré de son emplacement originel, il est aujourd’hui conservé au musée de l’Université de Fairbanks.
Nous prenons plutôt à gauche, le long de Lignite Road pour aller chez notre hôte, Mitch, chez qui nous campons dans le terrain derrière sa grande maison en rondins. Mitch est, comme dirait l’expression consacrée, un personnage haut en couleur. Je me rappelle encore cette première conversation légendaire que j’ai eue avec lui quelques années auparavant :
« Et que venez-vous faire dans le coin avec votre équipe ?, demande-t-il.
– Je suis archéologue, je viens fouiller dans la région intérieure avec une équipe française. Le dernier projet était plus au nord, vers Delta Junction. Maintenant on a un nouveau projet pas loin de Healy.
– Et vous allez travailler sur quoi ?, demande Mitch.
– On va faire des fouilles archéologiques sur un site à mi-chemin entre ici et Ferry. C’est un campement préhistorique de chasseurs-cueilleurs datant d’il y a environ 10 000 ans où on a…
– Non.
– Pardon ?
– Non. Les premiers habitants de l’Alaska étaient les Russes blancs il y a 4 000 ans.
– Heu… les premiers explorateurs et missionnaires russes sont arrivés au cours du XVIIe et XVIIIe, mais les natifs étaient déjà là et depuis plusieurs millénaires.
– Pas du tout. Il faut que vous regardiez les données génétiques ! »
Bon, vous l’aurez compris, Mitch est un évangélique ultrareligieux, pro-Trump (« le meilleur président de l’histoire des États-Unis »), climatosceptique, avec un rapport aux notions scientifiques qui est très… singulier. Mais son terrain est notre camp de base.
Carnet de voyage de l’archéologue Yan Axel Gómez Coutouly à découvrir dans Bouts du monde 57
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde