Guide bleue
EXTRAIT :
Après une nuit assaillie par l’appréhension et l’excitation, le réveil n’est pas si difficile : mon œil n’a pas bronché. Je m’en doutais : partir marcher seule, dans un endroit inconnu, augurait la nuit blanche. Sur le chemin de sa voilerie, Marie me dépose à la gare de Brest où un café et un portrait de Libé d’Eric Dupont-Moretti, nouveau garde des Sceaux et antiféministe patenté, font office de passe-temps. À 8 h 55, munie d’un masque chirurgical et de mon sac à dos rose bonbon de dix kilos, je monte dans le bus. Direction Telgruc-sur-Mer. Près d’une heure plus tard, je descends dans un bourg.
J’ai déjà étudié et retenu par cœur le trajet pour arriver au sentier : à gauche, rue des Pins, puis emprunter le chemin piétonnier. Un peu de route encore, bordée de pavillons tantôt standing, tantôt négligés, et puis ça y est, je l’aperçois ! Au détour d’une courbe goudronnée, la grande étendue bleu gris, immense, douce, plane. Une piste d’atterrissage flambant neuve.
Intimidée, je pénètre sur son domaine. Il est public, mais il a tout l’air de n’appartenir qu’à elle. Sur la colline qui la surplombe, un moulin à quatre bras se dresse, majestueux. Comme un réceptionniste, il m’accueille. Derrière, la mer joue à un, deux, trois, soleil, immobile et silencieuse, sous un ciel qui, lui, joue les caméléons. Son flegme est sa consistance, sa raison d’être, sa puissance. Sa manière à elle de dire : « Bienvenue chez moi ». Je me sens à l’aise. J’entreprends celui qui sera mon acolyte pendant cinq jours : le chemin des douaniers. Par une pancarte, il est modestement dénommé « sentier côtier. » Ça monte, ça descend. Ça monte, ça descend. Malgré la fatigue, ma motivation est au beau fixe, contrairement au soleil, qui a fini par capituler devant les gouttes, lourdes mais parsemées. Pas de quoi dévier mon pas prêt à en découdre. Je ne sors même pas mon K-way.
Autour de moi, les paysages grandioses se succèdent. Derrière chaque talus d’ajoncs, se dévoile un nouveau découpage rocheux, toujours accompagné de sa mer lisse, qu’aucune vague n’atteint vraiment. J’hésite à descendre sous les falaises pour piquer une tête, mais la route est longue. Encore au moins quinze kilomètres pour atteindre ma première étape, Morgat.
À l’entrée de l’île de l’Aber, je me tâte à nouveau. Je fais le tour ? Il ne figure pas sur le GR34. Au loin, les maisons colorées de Morgat me rassurent : elles sont là, tout près, je peux me permettre ce petit extra. À l’extrême pointe de la mini-presqu’île, j’élis un bout de rocaille pour manger mes sandwiches. Face à moi, un îlot, rocher noir ébène, constellé d’algues vertes, me tient compagnie. C’est sombre, presque apocalyptique. Je n’y ai jamais mis les pieds, mais cette vue m’évoque l’Écosse. Ma baguette jambon cru, fromage frais, tomates et mâche engloutie, je reprends ma route.
Carnet de voyage de Sarah Boucault à découvrir dans Bouts du monde 45
Chaque trimestre, recevez dans votre boîte aux lettres de nouveaux carnets de voyages, dans le dernier numéro de la revue Bouts du Monde