Hippies de l’Altaï
EXTRAIT :
Cela faisait déjà plus d’une semaine que j’étais à Novossibirsk. Malgré mon désintéressement total pour la ville, je n’arrivais pas à reprendre la route. Il est vrai que si j’ai décidé de voyager en Russie, ce n’est pas pour la beauté toute relative de ses villes. Tristes copies de l’une à l’autre ; centres mis de côté, ne soyons pas si catégoriques… Non, si je suis dans ce pays, c’est avant tout pour sa Nature sauvage et gigantesque. Nature qui souvent semble encore indomptée par l’homme. Nature qui permet des rêves d’exploration, d’inconnu ; fait de plus en plus rare dans notre monde où le tourisme organisé ne semble plus connaître de limite. À part, peut-être, celle du froid.
De cet hôtel, je n’arrivais pas à décoller. Pourtant, on m’attendait au lac Baïkal. Je m’étais porté volontaire pour aider un type à construire une Auberge de Jeunesse sur l’île d’Olkhon. L’hôtel était la propriété d’un ami, Sergueï, il servait de domicile à toute une bande d’originaux, vivant, ou simplement de passage, dans la capitale sibérienne. Sergueï, quarantenaire, grand et sec, au teint basané, avait acquis ce vieux bâtiment plusieurs dizaines d’années auparavant. Il l’avait retapé et en avait fait un havre de paix. L’entraide y régnait. J’y passais mon temps à fumer, beaucoup, à boire, un peu. Impossible de partir. J’étais bien trop occupé.
On trinqua encore et encore. Tout l’après-midi. « Laissons les frontières aux politiques ! », « À l’amitié franco-russe ! », « À l’Histoire russe ! », et caetera, et caetera…
Mais un jour, le destin décida enfin de me sortir de ma léthargie. Je fumais avec le maître des lieux dans son salon. Des plantes vertes sur le rebord de la fenêtre laissaient filtrer la douce lumière du soleil sur la table basse. C’était le printemps, le vrai. La raspoutitsas’était enfin terminée. Les pluies diluviennes avaient finalement cessé. Comme souvent, nous étions allongés sur le tapis. Un des locataires du rez-de-chaussée venait de nous laisser le reste de ses chachliks. À ma grande joie, Sergueï se décida à sortir sa bouteille de samagon, vodka de contrebande. Après le premier verre, son regard noir s’éclaira de malice. On trinqua encore et encore. Tout l’après-midi. « Laissons les frontières aux politiques ! », « À l’amitié franco-russe ! », « À l’Histoire russe ! », et caetera, et caetera… À la fin de la journée, à travers la brume de discussions compliquées et variées, je vis se faufiler une jolie brune. Olga. Je l’avais déjà aperçue plusieurs fois. Des yeux en amande et un long nez pointu qui affine un joli visage en losange. Un faciès aux nuances asiatiques impossible à oublier. « Dis-moi, ça te dirait de venir nous aider, mon mari et moi, à refaire le premier étage de notre maison à Kulikovo ? » C’était direct. Mais voilà enfin que le destin me donnait une raison valable pour reprendre la route. « Au diable le Baïkal ! Je veux revoir l’Altaï ! »
Carnet de voyage de Sylvestre Jaraud à découvrir dans Numéro 48
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