Huit mois autour du globe

Il faut quand même être un peu culotté pour s’embarquer pour un tour du monde à la voile quand on n’y connaît rien en navigation. C’est ce qu’a fait Margault Desmales, engagée sur la Global Ocean Race, une course rétro en équipage dans l’esprit de la Whitbread originelle de 1973. Sur le Triana, la jeune femme était mediawoman, avant de devenir une équipière à part entière.

– EXTRAIT – 

J’entends l’eau qui s’écoule sur la coque. Si on y réfléchit, il doit y avoir à peine quelques centimètres qui me séparent de l’océan alors que je suis blottie dans ma bannette. J’ai presque l’impression de faire corps avec lui, c’est magnifique. Une mélodie tantôt douce tantôt agressive quand les vagues viennent taper de toutes leur force sur Triana, le voilier sur lequel je me suis embarquée comme mediawoman pour les huit mois prochains dans le cadre de l’Ocean Globe Race. En bref, mon rôle est de documenter la vie du bord. Nous sommes le 10 septembre 2023. Nous rentrerons fin avril 2024 si tout va bien. Je crois que je ne réalise pas encore ce qui m’arrive mais une chose est certaine, je me sens à ma place. Et pourtant, cela ne va pas de soi. J’ai grandi à Lourdes, entourée par les sommets, les gravissant été comme hiver, skis de rando et crampons aux pieds. Partir au large ne m’était pas vraiment destiné, et pourtant. Une annonce sur Facebook, un appel, et beaucoup de motivation auront permis de me propulser sur l’eau. Je n’y connais rien, j’ai tout à apprendre, mais cette perspective m’enchante. Pour l’instant, je n’arrive pas à dormir et cela risque de poser problème car, dans 1 h 30 à peine, je serai réveillée pour prendre mon quart. Mais rien à faire, mon esprit tourne en boucle et derrière mes paupières closes, défilent les derniers jours de notre préparation, les derniers mois qui m’ont conduite là.

Je prends alors conscience d’une chose : les marins qui m’entourent savent tout faire. Ou presque. Ils ont cette compétence unique de la débrouille. Comment pourraient-ils faire autrement ?

« C’est l’heure de ton quart ». Titou me réveille en me poussant l’épaule. J’ai tellement entendu cette phrase durant la course. Nous fonctionnons pour cette étape par quarts de deux heures : deux heures de repos, deux heures de stand by, deux heures de quart. Un rythme qui me paraît soutenable au début, tant l’excitation est grande d’avoir pris la mer. Mais je déchante rapidement. Il n’est pas rare que des quarts de sommeil sautent à cause d’une manœuvre qui nécessite du monde sur le pont ou autres imprévus. Mais pour l’heure, pour ce premier quart, je saute de ma bannette, plus motivée que jamais à rejoindre Stéphane et Titou, son chef de quart. Je n’ai beau qu’être mediawoman, quoi de mieux que d’adopter un rythme de marin pour vraiment pouvoir en saisir toutes les joies et difficultés ? Sur le pont, je trouve Stéphane, cramponné à la barre. Titou lui prodigue encouragements et conseils. À voir sa tête crispée, cela n’a pas l’air si facile. J’ai hâte d’être autorisée à essayer…

Voilà trois jours que nous sommes en mer. Cette nuit, nous avons le plaisir de faire une incroyable rencontre avec notre concurrent australien, Outlaw. Nous tentons de les dépasser par deux fois. La troisième sera la bonne. Du moins, aurait pu l’être. Dans la nuit noire, le bateau devient hors de contrôle. « Ce sont les drosses de barre qui ont lâché », hurle Titou. Autrement dit, la direction de Triana. Je manque de passer par-dessus bord sous la violence du changement de cap. Mais notre bateau s’immobilise enfin et un diagnostic rapide permet de confirmer et de commencer les réparations. Les ordres fusent, les outils passent de mains en mains. « Clé à molette, épissoire, clé de 19, pince multiprise… ». Je prends alors conscience d’une chose : les marins qui m’entourent savent tout faire. Ou presque. Ils ont cette compétence unique de la débrouille. Comment pourraient-ils faire autrement ? Je suis impressionnée. Après cette nuit animée, ce sera au tour du moteur et de la génératrice de rendre l’âme. Titouan, alias Tits, ainsi que Seb et Titou, trouveront alors le moyen de créer un système de pompe alternatif grâce à un tuyau d’arrosage et feront ronronner cette dernière de nouveau. Le spi se déchire ? Un bout de ligne de vie et une aiguille et il sera réparé. Mais ces réparations se font au prix de nombreux quarts de repos où les marins se doivent de rester éveillés, enchaînant avec leur quart sur le pont. La fatigue commence à s’accumuler en moins d’une semaine apportant avec elle d’autres problèmes.

Carnet de voyage de Margault Demasles à découvrir dans Numéro 60