Carnet de voyage de Vincent Piel-Hoffmann - Il fait toujours mauvais à EL Chaltén
Carnet de voyage - Argentine

Il fait toujours mauvais à El Chaltén

Vincent Piel-Hoffmann a posé quelques jalons entre les pages de son passeport. Parmi eux : Cerro Torre en Patagonie. Ce n’est pas la crise économique en Argentine ni le mauvais temps à El Chaltén qui l’empêcheront d’admirer cette montagne dont l’évocation est irrésistible. Après ça, il pourra rentrer chez lui, le monde n’a pas besoin de s’encombrer de voyageurs, pense-t-il.

-EXTRAIT-

Je suis arrivé à El Chaltén par le Nord. D’abord sur les flots du Lago O’Higgins, puis à pied, vers un col marquant la frontière avec le pays de l’hyperinflation : l’Argentine. Ce faisant, on contourne la troisième calotte glaciaire du monde par l’Est sans jamais la voir. D’un côté, la carretera austral chilienne s’achève ; j’en viens. Mon pouce et quelques bus subventionnés par l’État chilien m’ont amené jusqu’à cette marge du monde. De l’autre, c’est Disneyland. Aussitôt que l’on entre à El Chaltén, c’est l’enclave états-unienne. L’accent américain supplante l’espagnol. L’on tend des dollars aux boutiquiers. Les Yankees célèbrent le spring break du haut de leur salaire : ils ont quatorze jours pour dépenser onze mois et demi d’épargne. Alors pourquoi s’encombrer l’esprit avec la langue locale et les taux de change ? C’est les vacances !

Dans la précipitation a pâti l’unité architecturale. Des lodges flambant neufs s’élèvent sur des tas de graviers, des chalets à la suisse ornent la rue principale, seule artère maladroitement bétonnée du bourg. Autour, les cabanes en tôles de la Patagonie trémulent dans le vent. À l’intérieur, une population presque indigente installée par l’État pour s’assurer que le Chili ne s’emparera pas de la région. Drôles de colons.

Au début de l’automne austral, on se croirait en plein hiver. Lumière rasante et température de glacière. Du vent qui bouscule ainsi rend la bourgade poussiéreuse. Les bourrasques emmènent avec elles la substance de la pampa et l’emballage des supermarchés. En 1985, le gouvernement argentin a décidé de construire une colonie ici pour affirmer sa présence territoriale. Sur les cartes, les contours de la frontière disparaissent sur le champ de glace sud au profit d’un grand rectangle où tout est possible. Dans la précipitation a pâti l’unité architecturale. Des lodges flambant neufs s’élèvent sur des tas de graviers, des chalets à la suisse ornent la rue principale, seule artère maladroitement bétonnée du bourg. Autour, les cabanes en tôles de la Patagonie trémulent dans le vent. À l’intérieur, une population presque indigente installée par l’État pour s’assurer que le Chili ne s’emparera pas de la région. Drôles de colons. Guides de montagne en doudoune. À cheval, de vieux gauchos bedonnants côtoient les générations sveltes et modernes qui commencent à abandonner le port du béret pour le remplacer par la casquette américaine. Des saltimbanques rafraîchissent les rues. Ils vendent des grigris ou jonglent à l’intersection des rues passantes, toujours postés aux marges de la société : devantures de supermarchés, trottoirs dont le ciment s’émiette. La fébrilité de ce béton donne son atmosphère à la ville. L’éclectisme de sa population, une substance marginale et intemporelle, comme extraite du temps qui passe.

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