Jean Malaurie, les Inuits & l’appel de l’Arctique
EXTRAIT :
Mes parents étaient des juristes, passionnés de voyages en Laponie et dans les pays nordiques. Je me souviens de mon père, né en 1898, lisant Les Derniers rois de Thulé. Ma mère, plus jeune, aurait voulu aller au Groenland. Dans les années cinquante, où presque personne ne prenait l’avion, la Laponie était une destination originale. Ils revenaient avec de mauvaises photos en noir et blanc qui me faisaient rêver. J’avais onze ans quand ils m’emmenèrent avec eux : je fus fasciné par les paysages des fjords, veines océanes aux flancs des montagnes. À cette époque, pas question d’aller au Groenland, dans lequel le tourisme n’existait pas. Je le découvris du haut des cieux, par hasard, en 1968. J’étais dans un avion à hélices à destination de New York. Le temps était beau, il volait bas, nous survolions le sud du Groenland. J’aperçus des flottes d’icebergs et leurs dessins sur le bleu profond de l’océan Arctique, au pied de rivages altiers. J’étais depuis deux ans étudiant à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence. Aucun rapport avec l’Arctique et l’anthropologie. Mais je ressentais de plus en plus l’appel du Nord.
Curieusement, mon chemin vers le Groenland emprunta d’abord les voies de traverse du droit romain, du droit administratif, et autres joyeusetés. J’allai pour la première fois au Groenland en 1975. Je pris l’Express côtier à Kangerlussuaq. Je me souviens de la lente descente du bateau dans le fjord : pour moi, un trajet initiatique. Le bateau ravitaillait les principales communautés. Nous étions accueillis par des salves de coups de fusil joyeux. Il transportait dans ses flancs diverses denrées alimentaires. Et un des fléaux du Groenland : la bière (…) Le spectacle des Groenlandais titubant dans la rue, dans un paysage pour moi féerique, était un contraste insupportable. Je fis la connaissance à Ilulissat d’une jeune Groenlandaise qui avait un parent pêcheur. Celui-ci m’emmena à la chasse aux phoques un soir d’été. Je me souviens de ce petit bateau longeant les falaises des icebergs rosies par le soleil de minuit. Ce voyage fut le premier de toute une série.
Je lui écrivis une lettre naïve, où j’exprimais mon désir de participer à des missions au Groenland, précisant même que j’étais un assez bon skieur.
Au retour, feuilletant le Guide Bleu, je découvris l’existence d’un Centre d’études arctiques, à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, dont le directeur était Jean Malaurie. Je lui écrivis une lettre naïve, où j’exprimais mon désir de participer à des missions au Groenland, précisant même que j’étais un assez bon skieur. Il eut la gentillesse de me répondre en me disant qu’il faudrait d’abord que nous nous rencontrions. Un autre aurait sans doute jeté cette lettre au panier. Je fis sa connaissance. Il eut l’intelligence de comprendre que le droit pouvait être une discipline importante pour l’étude des sociétés inuites en pleine transformation. À cette époque, je terminais ma thèse de droit romain et ignorais pratiquement tout de l’anthropologie, sans parler de sa variante juridique, que l’on appelait alors l’ethnologie juridique, en France le domaine d’africanistes. Il me confia cependant dans son Centre un enseignement sur les relations des Inuits à la terre, que j’accomplis en 1975-1976. Ainsi commencèrent mes relations avec Jean Malaurie.
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