Kang
– EXTRAIT –
Au départ il y avait les murs. C’est ce qui m’intéressait. Après des années de reportages dans la Chine rurale, j’étais fasciné par les affiches, posters, journaux qui couvrent les murs des foyers de ces maisons paysannes : Dieux, dirigeants communistes, pop stars pailletées et photoshoppées, bébés joufflus, paysages embrumés des montagnes jaunes, plages tropicales, appartements rêvés sortis d’un Ikea local, élégantes calligraphies ou dessins d‘enfants… Décorations, évidemment, mais aussi isolants thermiques pour quand l’hiver arrive. Ces murs racontent les habitants, dévoilent leurs goûts, croyances et aspirations. Lorsque Madaifu, une ONG établie dans le Gansu, pauvre province de l’ouest chinois, me proposa de les accompagner pour un voyage de terrain, j’y voyais une occasion de commencer une série photographique sur ces murs et ainsi raconter un peu de ce monde rural trop souvent absent de l’iconographie de la nouvelle Chine.
C’était quelques semaines après le nouvel an chinois, l’hiver finissant, le printemps pas en-core là. Dans cette région de terres jaunes, le paysage sculpté dit le dur labeur des paysans. Les collines ont perdu leurs rondeurs et sont ciselées en une infinité de terrasses dessinant les contours de parcelles trop petites pour autre chose qu’une agriculture de subsistance. L’érosion, facilitée par la friabilité du lœss, a entaillé les plateaux de crevasses. Profondes cicatrices qui donnent à la nature le dernier mot. La vie n’a jamais été facile ici.
Dans ces terres ingrates, l’étranger qui s’invite à l’improviste est assuré de trouver un bol de nouilles, la main tendue est souvent assortie d’une cigarette et le maître de maison n’attends pas avant d’acquiescer à une séance de photos. Me voilà pointant mon objectif sur ces murs. Le premier mur, c’est celui qui fait face à la porte d’entrée du foyer. Il est généralement dédié aux ancêtres, aux Dieux, voire au grand timonier.
Mariages arrangés, déménagements forcés, rêves de devenir médecin ou danseuse, l’enfant qui nait… des vies plus souvent subies que choisies. Histoires banales, peut-être, émouvantes souvent. Elles partagent toutes la confrontation avec la modernité, l’appel de la ville qui sépare parents et enfants.
Plus récemment, Xi Jinping a pu y trouver sa place, aidé par le comité du village généreux dans ses distributions de posters colorés.
A droite, il y a le kang, plateforme d’environ deux mètres sur trois, cœur du foyer, lit et salon en un. Pendant les journées d’hiver, on s’y assoit en tailleur, pour repriser un vêtement, grignoter des graines de tournesol, jouer aux cartes. La nuit tombée on étends les couettes jusque- là, méticuleusement pliées au carré ou roulées en boule et on s’installe pour dormir. Plusieurs générations, grands-parents et petit-enfants, peuvent partager le kang surtout quand les parents ont rejoint le lot des travailleurs migrants dans une ville lointaine dont ils ne reviendront que pour le nouvel an ou les moissons.
Le kang est chauffé, relié à l’âtre de la cuisine ou depuis un foyer situé au pied du mur extérieur de la maison.
Mariages arrangés, déménagements forcés, rêves de devenir médecin ou danseuse, l’enfant qui nait… des vies plus souvent subies que choisies. Histoires banales, peut-être, émouvantes souvent. Elles partagent toutes la confrontation avec la modernité, l’appel de la ville qui sépare parents et enfants.
Portfolio de Gilles Sabrié à découvrir dans la revue Bouts du monde Numéro 53
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