La boucle noire
– EXTRAIT –
Il est 8 h 45 et mon train S à destination de Charleroi est annoncé par une voix de répondeur téléphonique à travers les haut-parleurs de la gare de Moustier-sur-Sambre. Sur les quais, deux étudiants et trois navetteurs qui commencent leur journée un peu plus tard que les autres, plus votre serviteur, les chaussures de randos aux pieds et l’appareil photo et ses accessoires dans son sac de rangement sur le dos. L’objectif du jour, la Boucle noire, un sentier GR de 23 km autour de la ville de Charleroi. Ce n’est pas une première, j’ai déjà fait cette boucle il y a un an en solo, plus une partie (la petite boucle) en compagnie de copains photographes amateurs d’Urbex et de tags. Je connais un peu les lieux, l’ambiance décalée de l’endroit et j’ai hâte d’y retourner pour une journée un peu en dehors du temps et du monde réel.
Créée en 2016 par Francis Pourcel et Micheline Dufert, un couple retraité ayant pratiqué dans leur jeunesse une sorte de musique improbable mélangeant le punk, le rock, l’industriel et la Cold Wave sur la fin, la Boucle noire est une initiative avant tout privée. L’Eden de Charleroi, une salle de concert et un centre culturel à la programmation alternative et les sentiers de grandes randonnées sont aussi de la partie, de même que l’office du tourisme de la ville qui, succès oblige, a pris le train en marche. C’est que la Boucle noire est devenue un peu, à la surprise générale, une institution et un spot qui attirent du monde dans cette ville, souvent surnommée la ville la plus moche de Belgique. Plus de quatorze mille visiteurs en 2020, soit plus que les autres pôles touristiques de la ville. Une personne sur deux débarquant à l’office du tourisme vient pour la Boucle noire. Un grand succès obtenu sans beaucoup de soutien et de subventions au départ des autorités locales, mettant en avant un esprit de débrouille et de bricolage qui est un peu la marque de fabrique des Wallons. La carte du parcours est, tout comme l’accès, gratuite.
À partir des années 1950, la fermeture progressive des usines a laissé derrière elles des terrains pollués, des bâtiments rouillés hauts comme des cathédrales, des banlieues sales et tristes
Charleroi est probablement une des villes les moins attractives de Belgique. Riche et pauvre à la fois. Riche de son passé industriel, des mines de charbon et d’une industrie sidérurgique jadis florissante ayant procuré du travail à toute la vallée. À partir des années 1950, la fermeture progressive des usines a laissé derrière elles des terrains pollués, des bâtiments rouillés hauts comme des cathédrales, des banlieues sales et tristes et une population précarisée, sans diplômes et sans autre travail disponible, avec un taux de chômage parmi les plus hauts de Belgique. Et des terrils, tas de déchets extraits du sol en même temps que le charbon et empilés entre les usines et les quartiers d’habitations. Abandonnées à leur sort, ces collines artificielles forment une espèce de chaîne de montagnes miniature courant tout le long de l’ancien bassin houiller. Elles ont vu leurs pentes colonisées par des herbes folles et puis par des arbres, formant par endroits des forêts denses et étranges.
Carnet de voyage en Belgique de Jean-Pierre Jansen à découvrir dans Bouts du monde 55
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