La dernière caravane de Tartarie
– EXTRAIT –
Lever tardif dû à la première chute de neige de l’année. La vallée est méconnaissable. Le paysage apparaît recouvert d’un voile féerique. La plus ordinaire des herbes se transforme en fleur de rêve. Devant cette alchimie, je suis ému. Mon credo de photographe se précise : partager le meilleur de ce que je vois, de ce que j’aime, de ce que je ressens. Je me fixe comme ambition de capter sur la pellicule les reflets du soleil divin qui illumine le monde, pour témoigner de la beauté de la création : « Le monde était dans les ténèbres et la lumière fut ». Je suis en quête de cette lumière. (…) Depuis plusieurs jours, en apercevant des chameaux en liberté, j’interroge Mirza sur l’existence éventuelle de caravanes. Il élude toujours ma question. Aujourd’hui, au sommet d’un col particulièrement difficile à négocier, nous faisons halte un moment pour reprendre notre souffle. Mirza pointe alors son index en direction d’une rivière qui déroule son ruban argenté dans la vallée. « Da zamestan, daryara yakh mezana, shotor az saresh ter mesha » (En hiver, la rivière est gelée, c’est là que passent les chameaux).
Je reçois cette information comme une révélation. Le plus captivant sujet de reportage est peut-être à ma portée : un sujet qui va nourrir notre inspiration pendant plusieurs années et nous projettera dans une grande aventure humaine. Ce soir, à l’étape de Baharak, en m’endormant dans une cabane de berger, je pense à ce que sous-entend cette réponse de Mirza, l’existence au cœur de l’Asie, en plein XXe
siècle, de caravanes de chameaux utilisant en hiver les rivières gelées comme voies de passage. N’est-ce pas fabuleux !
Depuis plusieurs jours, en apercevant des chameaux en liberté, j’interroge Mirza sur l’existence éventuelle de caravanes. Il élude toujours ma question. Aujourd’hui, au sommet d’un col particulièrement difficile à négocier, nous faisons halte un moment pour reprendre notre souffle. Mirza pointe alors son index en direction d’une rivière qui déroule son ruban argenté dans la vallée. « Da zamestan, daryara yakh mezana, shotor az saresh ter mesha » (En hiver, la rivière est gelée, c’est là que passent les chameaux).
Je pense à Mirza, mon guide. Ses tchamousses étaient en si piteux état qu’il foulait de ses pieds nus le sol de sa patrie ; seuls ses vêtements usés, son long tchapane à rayures, son turban accordé à la couleur de son manteau – long turban, qui sert traditionnellementde linceul à tout musulman – permettaient de le localiser géographiquement du nord de son pays. Il ne possédait pas le moindre sequin, mais vivait sans mendier de l’hospitalité d’autrui, se nourrissant de pain au yaourt et de thé au lait, arpentant tout au long de l’année steppes et monts de son pays. Il savait sourire, rire, chanter et était aimé jusque dans les yourtes. Un jour que je lui demandais s’il ne pleurait jamais, il me répondit qu’au Pamir, on ne pleure pas parce que les larmes gèlent sur place.
Le carnet La dernière caravane de Tartari par Roland & Sabrina Michaud à lire dans Numéro 42
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