La géographie de la glace
– EXTRAIT –
Imagine une plaine. Infinie. Tellement infinie que la courbure de la Terre se voit. A se demander comment on a pu croire que le monde était plat. Une plaine faite d’eau, avec, dessus, un couvercle infini. Le ciel. Rien pour accrocher le regard. Nada. Alors tu te mets en route, comme tant d’hommes, de femmes, de bêtes avant toi. Plus loin, derrière l’horizon, c’est encore la plaine. Et derrière, encore la plaine. Une fois embarqué dans cette course contre l’infini, t’es bien obligé de te rendre compte des dimensions du monde, et par là, de ta petitesse. Cette plaine, elle respire. La planète respire, et toi t’es posé sur son ventre.
Tu voyages dans un décor hallucinant. Se trouver à bord d’un vaisseau dans l’espace ne doit pas être beaucoup plus fou. C’est même du pareil au même. Sauf qu’en mer on peut encore se déconnecter de ce que les terriens appellent Monde. Pas dans l’espace. Dans les villages, dans les villes, dans les trains, dans les voitures, dans les bâtiments à angles droits, sur la toile, bien loin est la respiration du monde. Trop occupés à suivre l’halètement de l’humanité, on perd le souffle. On respire bien peu. Ou mal.
En mer, lors d’une nuit sans lune, les étoiles sont tellement proches que parfois tu te crois dedans. C’est d’ailleurs le cas. Nous sommes tous dans l’espace. Mais vu de l’océan, c’est particulier. Car l’océan n’est pas simplement l’océan. Il y en a beaucoup de ces océans. Et chaque coin de chaque océan est différent. Pour la plupart, on peut dire que c’est relativement plat, que l’horizon est plutôt quelque chose de droit et immobile. On peut dire que parfois il s’énerve, mais que toujours il se calme, une fois épuisé. Quand vraiment il se fâche, les règles changent. On entre dans un monde de géants. Et alors rien n’est plus comme avant. L’horizon devient souple. Il se dandine, bouge, comme si quelque chose le démangeait. Puis l’océan se met à gronder, à distribuer des taloches.
Nous chevauchons cette mer au galop du matin au soir, du soir au matin. Tous les jours. Pas moyen de s’arrêter. Il faut s’accrocher tout le temps, même en dormant.
Carnet de voyage de Benjamin Ruffieux et Mélina Repond à découvrir dans Numéro 34
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