Forêt primaire - La philosophie de la foret - Madagascar par l'artiste Italien Stefano Faravelli
Carnet de voyage - Madagascar

La philosophie de la forêt

Stefano Favarelli a accompagné une expédition scientifique dans la forêt primaire de Betempona à Madagascar. Le carnettiste italien était prêt pour braver la jungle, lui qui a toujours dessiné des arbres dans les marges de ses cahiers d’écolier.

– EXTRAIT – 

Betampona. Un bout de forêt primaire de 29,18 km2 dans l’arrière-pays tropical du centre-est de Madagascar. Je suis enrôlé par une expéditionerpétologique comme peintre naturaliste, avec pour mission de rejoindre une équipe de chercheurs déjà dans la forêt et de m’associer à eux pour décrire avec l’exactitude de mes aquarelles la vie secrète de la faune la plus extravagante qui existe au monde. C’est le zoologiste Franco Andreone qui m’a obtenu cette collaboration avec le Musée régional des sciences naturelles de Turin : il m’a proposé de créer un carnet de voyage qui projette l’illustration scientifique au-delà de l’intention didactique, dans le glamour de la narration peinte, de manière anachronique et poétique, mais selon une tradition rigoureuse et admirable : celle des planches qui ont précédé l’avènement de la photographie. L’expédition à laquelle je devrais me joindre, m’a-t-il dit, allait étudier l’écologie et les préférences environnementales des reptiles et des amphibiens de la forêt primaire et rechercher de nouvelles espèces à décrire, comme c’est encore possible à Madagascar.

Franco m’a montré à cette occasion, dans A Field Guide to the Amphibiens and Reptiles of Madagascar, qui fait autorité, la photo d’une petite grenouille verte : elle s’appelle Boophis andreonei et c’est lui qui l’a découverte, précisément à Betampona.

Une autre aventure m’attend, bien plus harassante : atteindre cette colline impraticable et sauvage que j’aperçois là-haut, au-delà des restes du vieux pont colonial qu’un typhon a emporté il y a quelques années.

Me voilà donc ici, avec mes carnets et mes couleurs, sur des pistes de terre rouge qui, dès qu’il pleut, se muent en torrents de boue, en route vers la « Grande Colline » (c’est ce que signifie Betampona), la réserve naturelle intégrale de premier degré, instituée par les Français en 1927 et accessible seulement aux chercheurs.

J’ai sur moi l’autorisation, signée par le directeur de réserve, le professeur Rakotomamonjy : ce fut une petite aventure que de l’arracher à la confuse bureaucratie malgache. Mais une autre aventure m’attend, bien plus harassante : atteindre cette colline impraticable et sauvage que j’aperçois là-haut, au-delà des restes du vieux pont colonial qu’un typhon a emporté il y a quelques années. Je suis à Nosy Be, le dernier village sur la « carrossable » qui arrive à Tamatave, quelques huttes de ravenala et de bambou.

Je descends jusqu’au fleuve et charge mon sac sur une pirogue grossière, creusée dans un tronc d’arbre. Un passeur édenté me transporte jusqu’à l’autre rive en compagnie d’une femme avec deux poules et un panier de litchis. Là, le plus bringuebalant et le plus rouillé des taxis-brousse me conduira jusqu’à Fontsimavo, où toutes les pistes s’arrêtent et un sentier se faufile entre les torrents à traverser à gué et des ravines de latérite rouge jusqu’au sommet de Betampona.

Avant d’entamer l’ascension, je dois enrôler deux porteurs et je me prends un peu pour Burton, tandis que je me traîne sous un soleil équatorial, derrière les jeunes pieds nus qui portent sur la tête les caisses avec les vivres achetés à Tamatave, pour réconforter mes amis au camp-site en forêt.

J’atteins enfin Rendrirendry (en malgache, cela signifie « somnole, somnole »), le dernier avant-poste humain en face de la visio smaragdina de la forêt pluviale, vieille de dizaines de milliers d’années. Les huttes sont construites sur pilotis, une caractéristique typique des habitations de l’ethnie betsimisakara (« ceux qui ne se séparent pas ») qui peuple la côte orientale. Le village abrite aussi un camp de base pour guides et chercheurs : des bungalows équipés de bougies et de moustiquaires promettent un confort rustique et un panneau solaire garantit un minimum de ressources énergétiques pour des besoins seulement scientifiques.

Mon bungalow donne sur un hallier de bambous, où j’assiste au petit déjeuner matinal de l’hapalémur doré sur les immenses tiges du volohosy, le bambou géant de Madagascar, une plante qui renferme une très forte concentration de cyanure. Ce prosimien est une des espèces de mammifères les plus menacées d’extinction. L’hapalémur doré disparaîtra sans doute avant que les zoologistes comprennent comment fonctionne le métabolisme de l’espèce, qui ingère au quotidien une dose de poison douze fois supérieure à celle nécessaire pour tuer un homme, sans aucun dommage.

Carnet de voyage de Stefano Faravelli à découvrir dans Bouts du monde 54

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