La poésie des vieilles carcasses
– EXTRAIT –
Mon insatiable curiosité me pousse constamment à aller voir l’envers du décor, au-delà des ronces, des clôtures et des apparences. Contrairement aux décors propres, accueillants et rassurants, je préfère la sincérité et l’authenticité des arrière-cours, des gares abandonnées, des usines désaffectées, des jardins oubliés, des casses. Riches de leurs histoires, ce sont des lieux qui me parlent autant qu’une toile de maître d’un Vermeer au Rijksmuseum. C’est là, dans ces mondes oubliés, que se reposent ces épaves de vieilles voitures.
En février 2019, alors qu’on finit de réparer ma 308, je visite l’arrière-cour de mon garagiste et découvre, non seulement des voitures, mais surtout des vieilles dames en attente d’un lifting : Peugeot 403, 2CV Citroën, Dauphine, Traction avant, patientent et s’entassent pêle-mêle à l’arrière du bâtiment. Le coup de foudre est immédiat : difficile de rester insensible à leurs formes généreuses bosselées, à leur palette chromatique tout en nuances.
D’un autre temps, elles roulent tranquillement en se dodelinant, alors qu’autour d’elles, tout est agitation et vitesse. Puis plus tard, cachées derrière des haies, elles se reposent et s’habillent de l’or de la rouille
En 2020, j’ai attrapé définitivement le virus, non pas celui de la Covid, mais celui du dessin sur le vif de ces vieilles dames. À l’instar d’une philatéliste, je cherche à compléter ma collection, alors que le confinement nous impose de nous promener à deux pas de chez nous. Adossée à un muret d’un jardinet, statufiée tel le Titanic, une Peugeot 201 m’attend, le soleil est là pour la mettre en lumière. Son propriétaire m’explique que sa femme aimerait bien qu’il l’enlève du jardin ! C’est une pépite : un modèle D dit « à queue de castor » datant de 1935 – 1936.
Il est vrai que cette épave n’est pas la plus belle des fleurs. Classée au rang de chose laide, elle possède en elle une âme qui la rend belle. En 2021, ma collection s’enrichit de vieilles mécaniques. Parfois encore utiles, elles transportent du bois. En promenade sur les routes secondaires, elles suscitent la sympathie des automobilistes. D’un autre temps, elles roulent tranquillement en se dodelinant, alors qu’autour d’elles, tout est agitation et vitesse. Puis plus tard, cachées derrière des haies, elles se reposent et s’habillent de l’or de la rouille.
Carnet de voyage de Valérie Guitter-Orsat à découvrir dans Bouts du monde 57
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