La tournée du facteur
– EXTRAIT –
Alors que je remonte vers le nord des Vosges depuis Remiremont, je choisis des voies tranquilles presque inconnues des automobilistes pour rejoindre Saint-Gorgon. Il existe trois Saint-Gorgon en France. Le premier est près de Redon en Bretagne, ce qui explique pour une part la missive que je porte. Le second se trouve dans les Vosges, nous y sommes, et le troisième dans le Doubs, voisin du second vu de Bretagne. Soucieuses de défendre leurs intérêts, les populations gorgonnaises ont noué des liens qui ont suscité de nombreux échanges. Et ce qui devait arriver arriva. Un Gorgonnais rencontra une Gorgonnaise. Il y eut peut-être d’autres rencontres mais on ne me dit pas tout. C’est ce qui me conduit à remonter vers le nord des Vosges depuis Remiremont.
Ma route, une petite étape de cinquante-deux kilomètres, me mène donc vers Saint-Gorgon, le Vosgien. Plus précisément dans une ferme où un gros chargeur vert s’active à alourdir une remorque. Je stoppe mon vélo en veillant à ma visibilité. Je suscite immédiatement la curiosité du pilote du chargeur et du camionneur. Le pilote, un homme jeune et alerte, est souriant. Il ouvre la porte de son engin vert et me hèle :
« Par hasard, vous êtes pas perdu, là ?
– Bonjour, lui dis-je, je ne suis pas perdu, je cherche seulement Karine B.
– C’est ma femme ! »
Il doit se rendre à l’évidence. Je ne suis pas tombé dans son courtil par hasard, quoique…
Le hasard naît d’une coïncidence qu’aucune intelligence humaine ne peut prévoir. Pour Fabien, notre pilote-paysan, ma présence chez lui ne peut que naître du hasard. Il n’est pas en capacité d’anticiper ni même d’imaginer qu’une succession de faits déterminés m’ont porté ici. Je peux essayer maintenant de reconstruire cette chaîne d’événements.
Était-elle partie trop vite, avait-il raté son départ ? Je ne le sais, mais il lui restait manifestement des choses à dire et il me les confia à travers une missive.
Un jour, probablement à la toute fin du dernier millénaire, un Breton têtu et décidé se lasse d’être raillé pour le simple fait d’habiter Saint-Gorgon. Il décide d’agir, s’informe, et découvre que cette fatalité est partagée en trois points de l’hexagone. Contact est pris et c’est ainsi que commence une série d’échanges, de rencontres, de petites cérémonies et autres sauteries. Le rituel est maintenant installé. Le premier édile vosgien a un fils, une conseillère municipale du village breton a une fille. Je ne connais pas le détail de ce qui les rapprocha mais Karine devient vosgienne. Celle-ci avait une vie avant les Vosges. Elle travaillait auprès de personnes en situation de handicap. Elle y était appréciée des uns et des autres.
Un ami proche était un collègue de Karine. Était-elle partie trop vite, avait-il raté son départ ? Je ne le sais, mais il lui restait manifestement des choses à dire et il me les confia à travers une missive. Nul hasard dans toute cette mécanique de faits liés les uns aux autres. Mais comment Fabien peut-il reconstituer cette chaîne d’événements ? Pour lui, je ne pouvais qu’être perdu.
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