Dans la roue de Jeanne sur les chemins de Bretagne
– EXTRAIT –
20 mai 1908 (Jeanne) Il y a un mur de terre à escalader, la main énergique et forte d’Henri soulève ma machine, m’évite toute peine, et nous repartons, grisés d’air salin, de lumière intense, de mouvement, de vie. On arrive à la petite plage de Sainte-Anne par une descente impossible, où les freins mis à bloc ne suffisent pas à retenir les machines tenues en main. Enfin, nous voici sur la plage de Sainte-Anne. La petite chaumière bien connue a fait place à une maisonnette blanche et propre. Des lapins mettent le nez sous la porte de leurs refuges. Quelques poules errent dans le goémon. On s’embarrasse dans les longs filaments rassemblés pour sécher, et on traîne des queues interminables, accrochées aux pédales. Le soleil encore radieux s’incline au couchant : il faut rentrer. 18 juillet 2012 (Virginie) Rue de Siam, il faut veiller à ne pas se prendre les roues dans les rails du tout nouveau tramway en traversant la rue. Le centre-ville est envahi par les touristes venus pour les fêtes maritimes de Brest 2012. On aperçoit les mâts des grands voiliers du monde entier, longues silhouettes effilées. Sur le pont de Recouvrance, les premières gouttes sont menaçantes mais nous épargnent. Carole dessine, je relis les mots de Jeanne. Pourquoi nous parle-telle ? Je crois que c’est son émerveillement devant la vie, sa capacité à saisir le présent, à se souvenir sans ne jamais céder à la nostalgie. (…)
Nous arrivons au port de Maison Blanche après une belle descente. Cette petite anse a des allures méditerranéennes avec ses bicoques de toutes les couleurs. L’une d’elle a la porte grande ouverte. Au plafond, sur les murs, partout, des casquettes, des dizaines de casquettes alignées qui prennent la poussière. La table est couverte d’une toile cirée fatiguée. Dessus, un cubi de rouge, quelques verres et un réchaud à gaz rouillé. Tout est de bric et de broc. « La Taverne des retraités », indique un petit panneau sur le seuil. « Entrez, entrez ! », me lance le propriétaire des lieux. La soixantaine, le visage rougi par le soleil, il ne se fait pas prier pour discuter. « J’ai mon cabanon, oh ça doit faire dix ans maintenant. C’est quand un collègue est décédé, bah je l’ai récupéré. Mais tout ça qu’est ici, c’est lui qui l’a installé. J’ai rien touché, ah non. C’est sentimental. Oh, les casquettes…
C’est les collègues qui me les envoient quand ils partent en voyage. Y a des trucs de pub aussi. On se connaît tous ici, quasiment. Je viens tous les jours. Ah oui j’ai le temps ! Je suis retraité ! Ça fait cinq ans maintenant, avant je travaillais là-bas, à l’arsenal. Y avait du maille là-bas à l’époque. Ces cabanes, elles datent de l’après-guerre. A l’époque, il y avait des mouillages sauvages dans cette anse. Et puis, quand on revient de la mer, c’est bien pratique de pouvoir se changer, se réchauffer. Donc ils ont fait des cabanes. Faut dire qu’à l’époque, c’était pas si facile que maintenant de se déplacer, de venir jusqu’ici ! C’était plutôt à vélo, comme vous, en fait. Mais c’était connu parce qu’avant, y avait un restaurant et une salle de danse là-haut dans la falaise. Moi j’ai un petit bateau, vous voyez la bouée orange ? Bah c’est celui juste derrière. Et puis ici, je range mes cannes à pêche, vaut mieux pas les laisser dehors… Y a du vandalisme ici parfois. Surtout en fin d’année scolaire. Les jeunes ici viennent faire des barbecues, ça craint un peu quoi. Oh, salut Fanch ! Enfin, on est bien quand même, surtout quand il fait beau. »
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