Carnet de voyage d'Etienne et Emilie Druo, Voyage dans la forêt amazonienne
Carnet de voyage - Équateur

Le feu au sanctuaire dans la forêt amazonienne

Un bruit sourd plane au-dessus de l’été : le craquement de la forêt amazonienne qui brûle ou que l’on éventre. Ici et là-bas. Étienne Druon est en voyage en Équateur où les Shuars se déchirent à cause d’un projet de mine, source de revenus pour les uns, catastrophe environnementale pour les autres. À des milliers de kilomètres, Émilie a du mal à respirer.

– EXTRAIT – 

Quelque part en France. Quelque part en Équateur. Tandis que certaines forêts brûlent, tandis que d’autres disparaissent éventrées, j’ai du mal à respirer. Les fumées flottent, lourdes. La chaleur étouffante et moqueuse se colle à mes yeux. La forêt amazonienne brûle du Brésil au Groenland. Elle brûle sous mes pieds. Elle brûle autour du monde. J’ai du mal à respirer. Je la regarde et je l’écoute. Je la regarde tenter de fuir les bulldozers. Non elle ne peut pas, la forêt amazonienne est immobile. Terrienne et prisonnière, elle tombe alors, éventrée. Elle tombe encore. Peu importe où. Peu importe quand. Peu importe qui. Vivante ou morte, peu importe. Tant que cela rapporte. Tant que l’on peut compter. Tant que la forêt amazonienne peut donner. Encore et encore. Peu importe.

Juillet 2022. Étienne part en Équateur, à la rencontre des Shuars Maikiuants. Moi, je reste là avec nos enfants, à écouter notre forêt craquer. Le temps d’un été, entre deux océans, entre deux continents. L’espace d’un instant comblé par le vide de l’absence et les volutes âcres des forêts qui brûlent, des routes inondées, des roches qui s’effondrent. Silence ! ça tombe. Silence, on tombe ! Dans l’antichambre du chaos, des femmes et des hommes tentent de sauver leur forêt. Des guerrières et des guerriers, des Amérindiens, des Shuars. Ils s’appellent Nancy, Pinchu, Tsunki, Samuel… Ils veillent et luttent tel David contre Goliath. Si l’Anthropocène à raison d’eux, alors il aura raison de nous tous. Dans l’antichambre du chaos, les Shuars Maikiuants gardent les portes d’Arutam.

5 juillet, départ pour Quito. Étienne embarque avec Julien Defourny, sa compagne Élodie Pironet et Julien Belin, notre ami réalisateur. Jusqu’au bout, leur arrivée à Quito aura été incertaine. Outre les annulations de vols et le suivi des bagages aléatoire, l’Équateur connaît depuis la mi-juin un soulèvement majeur des peuples indigènes. Le pays est bloqué, l’état d’urgence est décrété. Quito est agité par d’importantes manifestations, parfois dramatiques. Les quatre voyageurs sont tout autant excités et enthousiasmés par le fait d’assister à ces événements historiques que dans la crainte de ne pouvoir y parvenir, faute d’avion. Finalement ce ne sera ni l’un ni l’autre. Quatre jours avant leur arrivée, un accord est signé et le pays retrouve un semblant d’apaisement. Malgré tout, voyager en temps de Covid sera très complexe, surtout si l’on rajoute une escale à l’aéroport d’Amsterdam en plein chaos et une autre escale à Houston aux États-Unis.

Si l’on se contente d’admirer le paysage, celui-ci est grandiose, à couper le souffle. Si l’on baisse quelques instants le regard, l’angoisse est saisissante tellement la route est escarpée, sinueuse et les roues du bus à quelques centimètres du vide.

Après une brève halte dans la capitale, ils empruntent un tronçon de la E35, sur la mythique route panaméricaine. Elle relie les deux extrémités du continent américain, de Prudhoe Bay au nord à Ushuaia au sud. En Équateur, le tronçon de la E35 est surnommée « l’Avenue des volcans ». De part et d’autre de celle-ci se trouvent les volcans parmi les plus hauts et les plus beaux du monde : le Chimborazo ainsi que le Cotopaxi. Douze heures de route les séparent de Cuenca, première étape à destination des Shuars. Douze heures de paysages à couper le souffle. Le bus avale les kilomètres sans se soucier des états d’âme, des corps, et de leurs vessies. Ils arrivent à 2 heures du matin, il ne fait pas plus de 6° C. La guest house qu’ils avaient réservée est fermée. Personne ne répond. Ils termineront la nuit dans un hôtel de passe, seul endroit où il existe encore un peu de vie. Ils resteront trois jours à Cuenca. Même si la ville est très belle et fait figure de vitrine touristique, elle porte encore les stigmates des émeutes des semaines précédentes. La tension est encore palpable. Un soir, alors qu’Étienne part seul, il se mêle à un groupe de manifestants. De chaque côté de la rue, parfaitement ordonnés, deux camps s’affrontent. Ceux qui disent « oui » à la mine, et ceux qui disent « non ». Chaque semaine, ils ont rendez-vous et chaque semaine les deux camps affirment leurs opinions. Étienne ne passe pas inaperçu, mais les manifestants l’acceptent. Un policier cependant tente de le retirer du groupe des réfractaires à la mine pour vérifier ses papiers. La foule le prend avec elle et chasse le policier. Étienne le sait, cet instant marque de manière symbolique le but de sa quête et l’état du pays. Un pays et des peuples amérindiens divisés par l’exploitation minière et la direction à prendre quant à leur avenir : exploiter ou protéger ?

Après cette courte halte à Cuenca, ils doivent rejoindre Limon Indanza. À la gare routière, ils apprennent que la route principale est bloquée suite à un effondrement. Ce n’est pas une situation exceptionnelle sur ces routes montagneuses de la cordillère des Andes, surtout à la fin de la saison des pluies. Bloquée deux ou trois jours par cet éboulis, ils n’ont pas d’autre choix que d’emprunter un second itinéraire beaucoup plus long et tout aussi incertain. Le bus est relativement vide, la route peu fréquentée. Leur trajectoire les amène à présent à la frontière du Pérou, dans la cordillère du Condor. Si l’on se contente d’admirer le paysage, celui-ci est grandiose, à couper le souffle. Si l’on baisse quelques instants le regard, l’angoisse est saisissante tellement la route est escarpée, sinueuse et les roues du bus à quelques centimètres du vide. Dix heures seront nécessaires pour effectuer les 84 km qui les séparent de Limon Indanza, ponctuées de nombreux arrêts, plus ou moins longs pour déblayer la route boueuse, coupée par les glissements de terrain. Peu à peu le climat change et évolue vers une moiteur plus tropicale. Au bout de sept ou huit heures de trajet, ce premier bus atteint son terminus. Ils doivent en attendre un second sans réelle certitude. Nos quatre voyageurs affamés en profitent pour tester la cuisine locale : de la couenne de porc bouillie froide en vinaigrette. Le constat est sans appel : c’est particulièrement infâme. De quoi tenir le corps pour le dernier tronçon qui les conduira à Limon Indanza quelques heures plus tard. Ce dernier morceau de route suivra celle de la course du soleil, s’éteignant, magnifique, avant leur arrivée de nuit. Elle apparaît au bout de la route d’asphalte, étrange et pittoresque. Cette ville minière évoque à Étienne Oiapoque dans l’Amapa au Brésil. Elle lui raconte davantage l’Équateur loin des clichés touristiques. Sans mensonge, elle est le théâtre des tensions qui se jouent ; au carrefour des choix politiques, économiques et idéologiques du pays. Deux options se confrontent. Deux mondes, deux façons de penser, d’espérer, d’avoir peur, de vivre avec l’ensemble du vivant : conquérir quitte à être damné ? Ou protéger ? Aux portes de la forêt, à l’intérieur, dans ses entrailles, au sommet du pic sacré « Maka Nait » Shuars Makiuants et Warints, autrefois frères amis et alliés, s’entredéchirent.

Carnet de voyage « Le feu au sanctuaire dans la forêt amazonienne » d’Etienne et Emilie Druon à découvrir dans Bouts du monde 54

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