Le Groenland au temps des boussoles et des cartes en papier
– EXTRAIT –
L’histoire commence en 1974 quand Bernard D, un ami grimpeur, vient nous voir à Marseille pour nous proposer de participer à une expédition de montagne au sud du Groenland. Il rentre du Ketil. Il veut y retourner. Il est débordant d’enthousiasme. Il parle avec un large sourire, de grands gestes : « C’est magnifique. Les lumières, la glace, le granit ! Des parois partout ! Rien que des premières. » Les noms roulent sur la langue comme des berlingots : Ulamatorsuaq, Suikagsuak, Itiklik, Nalumasortoq… Mon homme secoue la tête, dubitatif : il y a tant de grandes voies à faire ici, sans partir à l’autre bout de la planète… Je songe à mes rêves d’enfant quand, écrasée de chaleur dans mon hamac sous les eucalyptus, je parcourais les pistes du Nord sur les traces de Jack London. Je ne dis rien. Je sais que nous irons.
Juillet 1975. Nous sommes une quinzaine de grimpeurs à bord du Boeing 707 qui amorce sa descente vers Narsarsuaq, l’unique piste d’atterrissage du Sud Groenland. Je me penche vers le hublot. Le gros avion vole très bas en tanguant. On dirait que ses ailes vont racler les hautes falaises sombres qui encadrent le fjord et là, tout en bas, ces trucs blancs posés sur l’eau noire… Les premiers icebergs ! Je n’en crois pas mes yeux. Un quart d’heure plus tard, nous voilà sur le tarmac, devant un énorme hangar de béton, vestige de l’ancienne base militaire américaine. Un hélico Sikorsky attend : c’est l’autobus qui dessert les hameaux du Sud Groenland.
Dans un ronflement assourdissant, nous filons au ras des énormes icebergs. Plats comme des terrains de foot ou pointus comme des clochers gothiques. Turquoise fluo, blanc immaculé, gris sale où la glace a raclé le rocher. J’ai le cœur qui galope.
Carnet de voyage de Marie Perrottet à découvrir dans Numéro 34
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