Le mécano voyageur
– EXTRAIT –
En voici un extrait : « La 504 roule étonnamment bien. Je demande à Amar si cela a une chance de durer sans me soucier de la réponse. Il déroule une liste exhaustive de ce qui va sans doute lâcher : boîte de vitesses hésitante, alternateur mal en point, portière en équilibre précaire… Et il termine : l’important, c’est d’avoir de l’eau et de l’huile. Si tu as ça, tu roules toujours. Tu surveilles bien le tableau de bord, si ça clignote tu t’arrêtes tout de suite. Je demande alors, naïf : ah et il fonctionne le tableau de bord ? ». Silence, il ne sait pas. La panne, elle arrive forcément, il y a toujours un pilote pour oublier de regarder les voyants, et voilà, la tuile. Tant mieux ! C’est l’occasion d’une leçon de mécanique improvisée sur un parking au milieu de rien, peut-être même dans le froid et sous la pluie. Joie ! Le plus fou, c’est qu’il n’a quasiment aucun outil, et ceux dont il dispose ne servent à rien. « Amar, il sait réparer un radiateur avec les dents » me dira un jour un converti. Je confirme : une autre fois, il a repéré une panne en écoutant le ronflement du moteur malade au téléphone… N’empêche qu’il avait l’art d’esquiver les questions. À mon inquiétude sur le fonctionnement du tableau de bord qui a surtout l’aspect d‘une guirlande, il répond en riant tel un diable : « Tiens, bois une bière. De toute façon elle ira mieux dès qu’on sera en Afrique. C’est l’Afrique qui veut ça ! » C’est grâce – ou à cause – de cette impensable manière de voyager et de voir la vie que je décide de repartir avec Amar. Et tenter d’en ramener un film.
Je demande à Amar qui va conduire cette voiture : « Ah non, personne ; lui, il reste ici, c’est pour un copain… » On est censé partir dans huit jours, les conducteurs l’attendent, il a des voitures en chantier et il en « répare » d’autres qui ne partent même pas en Afrique.
2 octobre. Quelque part en France, Amar est scotché devant le moteur d’un camion aux couleurs folkloriques. Autour, des caravanes, des chats, des chiens, des poules. Il part, revient, une lichette de bière entre deux coups de clé parfois mimés. Ça n’avance pas. Des carcasses, il y en a huit autres à peu près dans le même état, d’après mes calculs. Je lui demande qui va conduire celle-ci : « Ah non, personne ; lui, il reste ici, c’est pour un copain… » On est censé partir dans huit jours, les conducteurs l’attendent, il a des voitures en chantier et il en « répare » d’autres qui ne partent même pas en Afrique.
15 octobre. Au fond du jardin d’un pavillon, en Vendée, l’un des engins les plus improbables. Journée ensoleillée, nous rôdons autour du trou qui devra un jour loger un moteur. Aidé de Fred, son nouvel homme de main évidemment baptisé Aldo, il en teste plusieurs types, ceux qui n’y trouveront pas leur place attendront dans le coffre pour être vendus au Maroc. Amar autour de la carcasse semble se poser dix mille problèmes et en éclaircit deux, au mieux. Ce n’est pas grave. Le linge sèche, nous regardons tranquillement la scène en fumant des clopes. Avec les amis techniciens de cinéma qui me suivent, on est d’accord pour dire que regarder les gens au travail a quelque chose de fascinant. Point positif, cet engin sera du voyage, bientôt : ça avance, alléluia !
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