Le monde de Jim
Étrangement, mon voyage au Minnesota a commencé sur une berge enherbée de la Sée, ce cours d’eau côtier qui se jette dans la baie du Mont-Saint-Michel. Je travaillais avec Jim Brandenburg pour un fabricant de matériel photographique. Lui testait un prototype et je filmais les coulisses de l’exercice. Il avait choisi le décor de la baie, avec ses phénomènes de marées, ses ciels indécis et le Mont perpétuellement ancré à l’arrière-plan pour construire son reportage.
Si les journées nous occupaient pleinement, les soirées nous réservaient ces temps propices à la rencontre, à l’échange, à la connivence. Une tasse fumante, un feu dansant ; de beaux silences, des idées partagées ; l’immensité du monde, par-delà la nuit, et la bienveillance des étoiles. À ciel ouvert, on est vite complices. Et on sent parfois qu’un petit rien éclot, tout simple, mais déjà plein de promesses. Tout a commencé lors d’un bivouac anodin sur les côtes normandes. Une parenthèse enchantée qui ne s’est finalement pas refermée. C’était si près de chez moi que je ne m’imaginais même pas en voyage. J’étais pourtant déjà parti. Et cinq ans plus tard, l’aventure n’est pas finie.
« C’est devenu comme un journal, et il est rare pour moi de ne pas y écrire avec ma caméra »
Cette marque avait choisi Jim Brandenburg pour le représenter car il est bel et bien une figure de l’image nature. Moi, je connaissais son best-seller, Brother Wolf – The forgotten promise, avec son loup à demi caché en couverture. Une image iconique où l’animal, dissimulé derrière son arbre, semble nous interroger. J’avais aussi relu certains de ses reportages dans les archives du National Geographic. Jim a travaillé pour ce magazine pendant près de quatre décennies. Il a voyagé sur tous les continents en quête d’images significatives, favorisant une meilleure compréhension du monde ou sensibilisant l’opinion à la protection de la nature. Ses productions et ses engagements lui ont valu d’obtenir une réelle renommée artistique et la reconnaissance des plus hautes instances de la conservation.
Mais – me dit-il ce soir-là – sa plus grande fierté résulte du travail qu’il mène dans les forêts boréales au Nord du Minnesota, où il habite, et dans les prairies de son enfance, au Sud de l’État, là où il est né. J’appris alors qu’il était autant cinéaste que photographe et qu’il filmait les humeurs du jour, les variations paysagères ou les allées et venues des créatures sauvages dès qu’il le pouvait. Sans objectif particulier si ce n’est celui de documenter son environnement. « C’est devenu comme un journal, et il est rare pour moi de ne pas y écrire avec ma caméra. Jour après jour, année après année, les pages du journal se remplissent. » Ce dévouement m’a tout de suite fasciné et l’idée que ces archives puissent contenir de belles pépites naturalistes a aiguisé ma curiosité. Mais je n’ai pas insisté et la discussion est restée en suspens.
Carnet de voyage de Laurent Joffrion à découvrir dans Numéro 44
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