Le naufragé de l’île de Biak
– EXTRAIT –
Il est parfois des récits qui agonisent d’eux mêmes, des récits que l’on veut raconter en faisant sentir que l’on a été héroïque. Mais à peine les premières notes de cette fausse partition sortent-elles, qu’on les ravale, échappant ainsi à un autre naufrage, plus profond encore, le sien peut-être… Ne pas mentir, raconter ce que l’on a vécu et ressenti, dire que l’on a eu peur, dire que l’on comprend Lord Jim de Conrad. Un homme en situation de mort entend d’étranges musiques et nul ne peut dire celle qu’il fera sienne.
La mienne prend corps sur l’océan Pacifique le 20 août 1995 en fin d’après-midi. De lourds nuages cotonneux barrent l’horizon. Au loin, non visible, l’île de Biak, avec sa grande base navale indonésienne. Cette île se situe au large de l’Irian-Jaya, nom donné à la partie occidentale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. J’exerce alors le métier de guide, et je rentre d’un long trekking harassant au cours duquel j’ai accompagné un groupe de touristes dans la montagne et la jungle d’Irian-Jaya. Une fois le trekking terminé, j’emmène, en guise de repos, les membres du groupe passer quelques jours en bivouac, sur des îles désertiques au Nord-ouest de l’Irian-Jaya. Je profite de ces quelques jours et de la beauté des fonds sous-marins pour les initier à la plongée sous-marine.
Une vague plus forte que les précédentes déséquilibre soudain l’embarcation et l’un des flotteurs plonge dangereusement dans l’eau, déséquilibrant instantanément notre frêle esquif… Pour contrebalancer le poids du bateau, la plupart des passagers courent de l’autre côté de l’embarcation, accentuant ainsi le déséquilibre dans l’autre sens.
Le prao se soulève, se met lentement à la verticale, puis se retourne.
Après plusieurs jours sur ces îles enchanteresses, nous rentrons sur l’île de Biak. Nous sommes sur un prao, sorte de grande pirogue composée de deux balanciers et d’une cabine centrale d’une hauteur d’environ 1,80 m. Le groupe est composé de huit personnes (trois Français et cinq Belges) et de trois membres d’équipage indonésiens. Encore quelques heures de navigation,
et nous atteindrons Biak, puis de là, via l’île de Bali, la France, notre ultime étape.
Nous sommes disséminés sur l’embarcation, contemplant le grand Océan. J’écoute distraitement la conversation, qui porte sur la crise économique de 1929. Je suis préoccupé par l’homme de barre à qui j’ai déjà demandé par deux fois de rembobiner sa ligne de traîne et de se concentrer sur sa navigation.
Pourquoi n’écoute-t-on pas l’indicible ? Une vague plus forte que les précédentes déséquilibre soudain l’embarcation et l’un des flotteurs plonge dangereusement dans l’eau, déséquilibrant instantanément notre frêle esquif… Pour contrebalancer le poids du bateau, la plupart des passagers courent de l’autre côté de l’embarcation, accentuant ainsi le déséquilibre dans l’autre sens.
Le prao se soulève, se met lentement à la verticale, puis se retourne.
J’émerge des flots à proximité d’un flotteur, je vois les gens de mon groupe, qui crient, gesticulent, tout en essayant de s’accrocher à quelque chose qui flotte. J’aide, attrape l’un puis l’autre, les ramène au bateau retourné, et les installe à califourchon sur la coque de l’embarcation. Les autres montent par eux-mêmes dans un silence de mort. Je récupère quelques sacs à dos, que nous accrochons à l’embarcation. Le moteur a coulé avec l’ensemble du matériel de plongée sous-marine et tous les objets se trouvant à bord. Je plonge encore sous l’embarcation pour récupérer quelques gilets de sauvetage que je distribue aux femmes. Ensuite, nous faisons le point.
Carnet de voyage au large de l’île de Biak par Laurent Van Parys, à lire dans Numéro 4.
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