Le palais abandonné de Kastellorizo
– EXTRAIT –
Une certaine atmosphère se dégageait des photos du catalogue sur l’île de Kastellorizo. Cette île grecque ne figurait sur aucune carte, ce qui la rendait encore plus mystérieuse. Peut-être était-ce parce qu’elle se situait très bas dans le Dodécanèse ou parce qu’elle était trop proche de la Turquie, l’ennemie ancestrale des Grecs. Cela n’avait pas l’air simple pour s’y rendre : un vol pour Athènes, un autre pour Rhodes, et enfin dix heures de traversée. Celui qui avait repéré l’île pour « Jet tours » devait avoir un sacré coup d’ouzo dans l’aile pour la proposer dans le catalogue promotionnel. Après deux vols, douze heures de transit à Rhodes, nous montons à bord du Panormitis, vieux cargo rouillé à bout de souffle, couvert de pansements de métal sur son étrave et chargé, une fois par semaine, d’assurer la liaison avec Kastellorizo. Sur le pont, une rapide inspection nous donne à penser qu’il s’agit probablement du dernier voyage du bateau. Je commence néanmoins à filmer sans savoir si cela servira pour mon histoire (inexistante à ce stade) ou pour un film posthume sur le naufrage d’un rafiot diffusé aux actualités grecques (ma caméra étant le seul témoin ayant miraculeusement survécu).
La dalle de béton qui soutenait l’unique hôtel de l’île s’était cassée en deux récemment. Des chambres au restaurant, tout était en pente, mais l’endroit, lui, était sublime. Le port, constitué en partie de petits palais abandonnés, entourait un vaste cratère immergé dans l’eau noire.
En longeant les côtes turques pour ne pas se faire canarder, le capitaine fit éteindre toutes les lumières. Sympa. De plus, rien n’était prévu à bord pendant les dix heures de traversée pour se sustenter. L’équipage avait emmené de quoi manger, mais pour lui seul. Le rôle du Panormitis était d’évidence d’avitailler une île coupée du reste du monde, pas de convoyer quelques touristes égarés. Car il fallait tout amener à Kastellorizo, l’île ne produisant que quelques oranges. Le bateau n’y restait qu’une journée le temps de décharger, et celui qui aurait voulu repartir après son départ pouvait en oublier l’idée, tout au moins pour les sept jours suivants. Nous n’étions que quatre à avoir répondu à la toute nouvelle promotion « Jet tours ». Nous et un autre couple insupportable que nous n’avons pas cessé de fuir dès notre arrivée, ce qui n’était pas simple vu l’exiguïté du lieu.
La dalle de béton qui soutenait l’unique hôtel de l’île s’était cassée en deux récemment. Des chambres au restaurant, tout était en pente, mais l’endroit, lui, était sublime. Le port, constitué en partie de petits palais abandonnés, entourait un vaste cratère immergé dans l’eau noire. Avant la guerre, l’île avait connu une période de faste, celle d’une petite Venise où l’influence italienne était omniprésente, où les yachts s’alignaient les uns à côté des autres, où des hydravions se posaient et où venait de naître un nouveau sport : le ski nautique. Curieusement, seules les maisons en première ligne tenaient encore debout, celles derrières n’étaient que ruines et amoncellements de gravats, ce qui renforçait l’impression qu’on était sur une scène de théâtre.
Carnet de voyage de Geoffroy Larcher à lire dans Numéro 37
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