Karim ElKarouni - Le retour au bled - Bouts du monde
Carnet de voyage - Maroc

Le retour au bled

C’est une tranche poétique de l’histoire de la France contemporaine que nous raconte Karim Elkarouni, bercé par la nostalgie des grandes transhumances estivales vers le Maroc. Un convoi exceptionnel, à bord d’une Peugeot 505 break qui avait des allures d’Airbus A320 au milieu du désert andalou.

EXTRAIT :

Il fait beau à Creil ce matin de juillet 1990. Les volets verts de l’appartement s’ouvrent et claquent contre la façade de l’immeuble. La lumière du soleil inonde le séjour. Du haut de mes 12 ans, je me prépare, comme chaque année, à un grand voyage : les vacances au bled. (…)

Le jour du départ, toute la famille était réunie dans le salon, sauf mon père, qui se débattait depuis l’aube avec des dizaines de mètres de cordage, nécessaires pour ficeler les cartons et sangler la cargaison. Chacun suivait une feuille de route précise. Ma maman et mes sœurs s’affairaient dans la cuisine, elles préparaient les provisions pour le voyage. Le ravitaillement s’entassait sur la table : trois poulets zitounes, des fruits en pagaille, des galettes marocaines, du pain rond et suffisamment de casse-croûtes pour tenir un siège de cent ans sur la route.

Chez la famille Elkarouni, on roulait en Peugeot, le roi du diesel. Le lion de l’Atlas, sur la calandre, était un gage de robustesse, et le litre de gazole coûtait moins cher qu’une demi-baguette. L’année précédente, la Fiat 900 nous avait plantés en plein milieu du désert andalou. Depuis cette galère, mon père avait juré de ne plus faire confiance aux étrangères.

La veille, ma maman avait fini de rafistoler les rideaux à fleurs achetés au marché du jeudi sur la place du Champs-de-Mars pour nous protéger des regards et du soleil. Un élastique tendu à l’intérieur de l’habitacle faisait office de tringle à rideau et des napperons en dentelles recouvraient l’appui-tête. Mon père, lui, avait apposé la dernière couche de peinture bleu turquoise sur la tôle et les enjoliveurs de la remorque. à quelques heures du départ, on descendait les valises, les colis, les deux-roues, les tapis enroulés, que l’on déposait au pied de l’immeuble. Mon père, directeur des opérations, contrôlait la rigidité des cartons qu’il empilait, façon Tétris, sur le porte-bagages et la remorque. Enfin, on emballait le tout dans une grande bâche marron étanche récupérée sur un chantier.

Un camion de 33 tonnes aurait été nécessaire pour transporter le fret mais, à force d’ingéniosité, la berline familiale faisait l’affaire. Mon père avait investi dans un 505 break, un choix dicté par des convictions fortes en matière de mobilité et d’économie. Chez la famille Elkarouni, on roulait en Peugeot, le roi du diesel. Le lion de l’Atlas, sur la calandre, était un gage de robustesse, et le litre de gazole coûtait moins cher qu’une demi-baguette. L’année précédente, la Fiat 900 nous avait plantés en plein milieu du désert andalou. Depuis cette galère, mon père avait juré de ne plus faire confiance aux étrangères.

Carnet de voyage de Karim Elkarouni à découvrir dans Numéro 40.

à découvrir aussi

Carnet de voyage d'Elliot et Tess Raimbeau - Looking for Marjorie dans l'Iowa

Looking for Marjorie dans l’Iowa

 Marjorie faisait partie de ces fous « qui ne baillent jamais », comme Kerouac les appelait. Il s’en est sûrement fallu de peu pour que leurs routes se croisent. La grand-mère de Tess et Elliot a fait les quatre cents coups avec la beat génération. Mannequin pour Coco Chanel et amante de Gregory Corso, elle…

Carnet de voyage de Jacques Petit - Avoir 20 ans, une valise et une 2CV

Avoir 20 ans, une valise et une 2CV

par Jacques Petit

Quand ce jeune Normand a embarqué à bord de sa 2CV au début de l’été 1969, les Beatles chantaient « get back », les hippies écrivaient « Delhi » ou « Katmandou » en grosses lettres au cul des combis Volkswagen, et l’homme s’apprêtaient à marcher sur la lune. En Turquie, la solitude de Jacques Petit…