
L’énergie vagabonde
Myrvåg, le 2 mai
Tic, tac, tic, tac. La route monte vraiment fort, mais je suis très en forme en ce début d’étape. Tic, tac, tic, tac, le bruit de mes pas reproduit à merveille le temps qui s’écoulait sur mon réveil d’enfant. Vous savez, celui avec les deux grosses cloches que l’on rêvait de martyriser au petit matin avec un gros marteau, comme dans les dessins animés. Un silence assourdissant l’a remplacé, le temps digital, ce fourbe silencieux qui nous fait perdre la notion du temps… qui pourtant s’écoule inexorablement. Ma marche se synchronise sur le tic-tac de mes pas. Je me synchronise. Ma respiration s’amplifie, mon regard se porte au loin. Je prends le temps, je reprends le temps en main. Il prend la place que je lui donne. Je le laisse filer de nouveau, bercé que je suis par le son de mes pas.
Je réalise que depuis Gibraltar, je vis une forme de retraite, un ermitage itinérant. Peu de contacts, jamais recherchés, acceptés parfois. Plus j’avance, plus je goûte le silence que vient sublimer le clapot des vagues qui m’apaise, le chant des oiseaux qui m’enchante. Évacuer la question des pourquoi, les questions sans réponses, me permet d’être présent à l’instant.
Je m’évapore, je revisite ma vie. Les bons, comme les moins bons moments, tout est là, bien rangé, en ordre. Depuis Gibraltar mon cerveau a opéré un « défrag» salvateur, un rangement bien optimisé. Je déambule, avec plaisir, dans mes souvenirs, saluant çà et là mes proches disparus. Ils ont bonne mine, ils m’accompagnent dans ce voyage. Il y a quelques jours, je regrettais ce cheminement lent sur ces routes interminables, envisageant, un temps, de poursuivre sur deux roues. Maintenant je comprends que seuls les pas permettent de laisser vagabonder mon esprit, libérer ma réflexion… et encore, il faut bien veiller à s’arrêter sur le bord du chemin, pour écouter les oiseaux discuter, le torrent couler, le vent vibrer dans les bouleaux et les sapins. Sur un vélo, l’esprit ne peut être totalement au repos, occupé qu’il est à nous maintenir en équilibre, à chasser le bon embranchement.J’enchaîne une succession de jolis lacs avant de démarrer la descente sur Åheim pour ma pause déjeuner. Je dois, à présent, entamer la deuxième partie de l’étape. Le tic-tac ne fait plus le même bruit. Un musicien comprendrait tout de suite que je ne suis pas dans le tempo. Non, ce n’est pas du jazz… disons que ça ressemble plus au rythme lent d’une marche funèbre. Et c’est bien épuisé que j’atteins mon gîte du soir.
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Raudnesvika, le 6 mai
L’ermitage itinérant. 15 heures, je pose mon campement en surplomb de la pointe de Raudnesvika. La vue est infinie. Confortablement allongé dans ma tente, les portes grandes ouvertes sur l’océan, la deuxième journée commence. Plus j’avance, plus cette partie du voyage devient centrale, vitale. Seul dans ma cellule, mon esprit vagabonde, bien à l’abri derrière la moustiquaire. Je réalise que depuis Gibraltar, je vis une forme de retraite, un ermitage itinérant. Peu de contacts, jamais recherchés, acceptés parfois. Plus j’avance, plus je goûte le silence que vient sublimer le clapot des vagues qui m’apaise, le chant des oiseaux qui m’enchante. Évacuer la question des pourquoi, les questions sans réponses, me permet d’être présent à l’instant.
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Aussi loin que l’on aille, on ne part jamais qu’à sa rencontre. Surtout ne pas se laisser distraire de cette rencontre-là.Un voyage est un voyage en soi, un miroir de soi. Depuis Gibraltar, je m’assemble pas à pas, me découvre, me confirme. J’affirme ma personnalité première, celle d’un ermite solitaire contemplateur d’une nature immobile, spectateur amusé, effaré parfois, d’un monde qui tourne trop vite et sur trois pattes. De fonction dans ce monde, je n’en espère aucune. Le seul sacerdoce de mari et de père me comble. Je surprends souvent par mon détachement, ce sentiment d’être égaré dans un monde trop bruyant. Trop de mots ! Ermite solitaire immergé dans un monde de grands, cocktail détonant.
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