les cités perdues de la forêt de pluie de l'Amazonie
Carnet de voyage - Équateur

Les cités perdues de la forêt de pluie

L’Amazonie est bien plus qu’une forêt primaire. Elle fut le berceau de civilisations préhistoriques et le «foyer d’innovations décisives ». La thèse a eu du mal à s’imposer parmi la communauté scientifique, qui étouffait sous la canopée l’idée d’architecture monumentale. C’était sans compter sur la conviction et l’abnégation de l’archéologue Stéphen Rostain, qui entreprit de fouiller ces tertres disséminés sur la rive de l’Upano en Équateur. Étaient-ce les traces d’une agglomération ancienne ?

-EXTRAIT-

Cette histoire commence à la fin des années 1970 lorsque le Père Juan Botasso, en poste à Macas, en Amazonie équatorienne, reçut son confrère Pedro Porras. Connaissant sa passion pour l’archéologie, il l’emmena dans un lieu oublié des dieux où il avait découvert un site extraordinaire. Des dizaines de gros monticules artificiels rectangulaires de terre étaient disposés géométriquement en bordure du ravin de l’Upano. Stupéfait par cette trouvaille, Porras y organisa peu après des fouilles archéologiques et publia un gros livre, en oubliant pieusement de mentionner le véritable découvreur du site.

Pourtant, bien que féru d’archéologie, il n’en avait pas la formation académique ; aussi produisit-il des résultats incomplets, contradictoires et sujets à caution. Quinze ans plus tard, j’organisai un nouveau projet avec un collègue équatorien. En effet, la découverte exceptionnelle d’un site à architecture monumentale en pleine Amazonie avait finalement eu peu de répercussion dans le monde académique. Il faut savoir qu’à l’époque, une chercheuse nord-américaine nommée Betty Meggers régnait sans partage sur l’archéologie amazonienne, guidant une petite armée de correspondants locaux dans chacun des neuf pays s’étendant sur cette forêt tropicale. Elle fit peu de cas de cette gigantesque agglomération sylvestre qui contredisait ses théories péjoratives sur le potentiel civilisationnel de l’Amazonie. Elle défendait bec et ongles un paradigme fondé sur un déterminisme environnemental. Selon cette approche biaisée, l’Amazonie aurait été un paradis contrefait où la fertilité n’était qu’un leurre, le milieu étant en réalité sclérosant pour les humains. Toute tentative ancienne d’implantation de la civilisation, évidemment supposée originaire des Andes, aurait fini par péricliter et disparaître.

Ce fut pour cette affectation que je quittai mes marécages et bois guyanais afin de me diriger vers le couchant, au pied de la célèbre cordillère.

On sait aujourd’hui que cette vision d’une géographie déterminant le niveau culturel est complétement fausse et contredite par de nombreux exemples. Ainsi, les plus anciennes traces de développement technologique marquant en Amérique du Sud apparaissent non pas dans les Andes, mais en Amazonie : domestication d’une multitude de plantes dès le début de l’Holocène, invention de la céramique il y a 7 000 ans et début de la construction de tertres de coquillages à la même époque. L’Amazonie ne fut pas redevable des hautes terres, mais bien un foyer d’innovations décisives.

Victime de dédain universitaire, le passé prestigieux de la vallée de l’Upano demeura dans l’anonymat pendant des années. Il aura fallu que l’anthropologue Philippe Descola, qui avait mené dans les années 1970 sa recherche doctorale chez les Aents Chicham un peu plus à l’est, s’émeuve de ce désintérêt pour que la situation change. Il aida donc à la création d’un poste temporaire d’archéologue à l’Institut français d’études andines pour pallier ce manque. Ce fut pour cette affectation que je quittai mes marécages et bois guyanais afin de me diriger vers le couchant, au pied de la célèbre cordillère.

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