Les cristalliers du Mont-Blanc
– EXTRAIT Carnet de voyage France –
Le pied gauche d’Étienne s’enfonce brutalement et perce la couche de neige. Il perd l’équilibre, bascule dangereusement dans la pente. Le poids de son sac l’empêche de se rétablir. Ses pieds sont au-dessus de sa tête dans une pente à cinquante degrés. Aucune prise solide à laquelle se raccrocher. La pesanteur du sac, de ses chaussures. Son cœur s’emballe. Son cerveau doit composer avec une nouvelle équation : « Comment faire lorsque la montagne peut à tout moment me rester dans les mains ? ». Il arrive à se rétablir, il ne sait pas comment. Peut-être a-t-il tapé sur son pied droit pour l’enfoncer au même niveau que le gauche ? Sûrement. Il se redresse : Il pense : « Qu’est-ce que je fous là ? ».
Si la peur est la sœur jumelle de l’aventure, ce duo se sera amusé avec Étienne pendant quelques jours. Quelques beaux jours d’été, sous une canicule naissante, entre le 29 juin et le 5 juillet 2019. Quelques jours où Étienne aura décidé de s’affranchir d’une chose commune à tous les êtres humains bipèdes que nous sommes, qui plus est fortement appréciée. Je la nommerai « horizontalité ». Celle qui nous permet de poser nos pieds, et ce, de manière stable. Fort pratique pour avancer. Très utile pour ne pas tomber. Soit, tout ceci est fort raisonnable, mais Étienne, curieux comme à son habitude, partira ce beau matin d’été se glisser dans l’ombre de la « verticalité » pour y défier les lois de la gravité et découvrir un homme : Christophe Péray, un cristallier. Pourquoi ? J’ai presque abandonné l’idée de répondre à cette question. Ou peut-être, en connaissais-je déjà en partie la réponse ? Peut-être était-ce pour se confronter à lui-même, en franchissant les frontières de la raison. Peut-être était-ce pour déchiffrer de nouveaux territoires, aux antipodes de son biotope « naturel » qu’incarne la forêt amazonienne. À la rencontre d’un tout autre règne, qui ne sera plus végétal, mais intensément minéral.
Une sourde explosion résonne au fond du glacier, au pied du Triolet. Une avalanche dévale du col des cristaux. Christophe se retourne vers Étienne avec un grand sourire et lui dit : « Et bien c’est là où l’on va ! »
Cristallier : nom que l’on donne à ceux qui gagnent leur vie à la recherche du cristal.
La première étape consiste à remonter tout le glacier de l’Argentière : sept kilomètres en crampons, chargés. L’arrivée au glacier est spectaculaire. La langue de glace bleutée apparaît soudainement, au détour d’un virage, au milieu des rochers. L’accès au glacier s’effectue en rappel. Ils devront ensuite procéder à une remontée par des échelles pour enfin longer une paroi surplombant cinq cents mètres de vide. Arrivés sur le glacier, Étienne et Christophe chaussent leurs crampons alors qu’un bruit assourdissant se fait entendre. Une sourde explosion résonne au fond du glacier, au pied du Triolet. Une avalanche dévale du col des cristaux. Christophe se retourne vers Étienne avec un grand sourire et lui dit : « Et bien c’est là où l’on va ! ». C’est dans ce fracas que leur périple peut enfin commencer. La neige cache encore les crevasses, malgré le début de la fonte. Cette situation présente un entre-deux qui peut s’avérer inconfortable. Pourtant ils ne feront pas le glacier encordés, Christophe le connaît par cœur.
L’aventure d’Etienne Druon racontée par Emilie Druon dans Bouts du monde 50
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