Les voyelles du large
– EXTRAIT –
«Capetown Marina, Capetown Marina, pour Gallinago, Gallinago. »
Le contact radio est un rituel amusant des arrivées au port. À Capetown, il est même indispensable. Sur notre trajet se trouvent deux ponts basculants dont on doit demander l’ouverture. Nous savons par ailleurs d’expérience que les « Marinas » modernes garnies de navires de luxe comme celle où nous nous apprêtions à entrer apprécient peu les débarquements à l’improviste.
L’accueil de Josh est cette fois très cordial, quoique surpris :
« Quelle taille fait votre yacht ?
– Neuf mètres
– De large ?
– Euh non, de long !
– Ah oui c’est petit… »
L’étrange allure de notre embarcation interroge souvent ; les navigateurs surtout. Nous même rions souvent de ces contrastes : la cheminée le long du grand mât racé, les voiles de course pliées sous le fil à linge bohême, la peinture défraîchie et quelques dessins sur une coque arborant naguère les « sponsors » commerciaux les plus sérieux. On en joue même un peu, avouons-le…
Trente pieds, soit 9,20 mètres de long, 3,25 mètres de large. Sans être une coque de noix, Gallinagoest assurément un petit navire au regard du voyage que nous entreprenons. D’autant plus que, né comme un voilier de course, il a conservé de sa première vie une certaine rusticité. Le pont, dédié à la manœuvre, est toujours dépourvu de tout élément de confort. On n’y trouve même aucune protection, le moindre clapot le noie sous les embruns. Quant à l’intérieur, bien que je l’aie aménagé, il demeure, comme dit Camille, « 0 m2 loi Carrez ». Il est vrai qu’on ne tient debout nulle part. L’essentiel y est néanmoins. Un grand lit double à l’arrière, le « King Size » qu’on partage à tour de rôle, deux couchettes latérales autour de la table du carré, pour le repos. Un évier, un réchaud au gaz à deux feux pour la popotte. Un poêle à bois pour se réchauffer hors des tropiques, une bibliothèque pour occuper les quarts, de nuit, et les soirées au coin du feu.
L’étrange allure de notre embarcation interroge souvent ; les navigateurs surtout. Nous même rions souvent de ces contrastes : la cheminée le long du grand mât racé, les voiles de course pliées sous le fil à linge bohême, la peinture défraîchie et quelques dessins sur une coque arborant naguère les « sponsors » commerciaux les plus sérieux. On en joue même un peu, avouons-le…
Il arrive néanmoins qu’on se trouve embarrassé par l’inquiétude teintant certaines questions. « Tu es allé dans la banquise avec cette frêle coque en plastique ? », « Et si vous étiez chavirés par une grosse vague ? ». J’assume mieux, désormais que l’expérience a montré que je ne suis pas inconscient, ce qu’on pourrait pompeusement appeler notre « style ». À mi-chemin entre la définition donnée par Lucia, une amie italo-anglaise rencontrée au Sénégal, amusée par le rugueux dépouillement des jeunes Français – « As long as it floats… » –, et la souplesse du surfeur en équilibre sur la vague. Une spontanéité joyeuse qui n’exlut en rien une préparation réfléchie. Nous ne jouons pas à la roulette russe : aucun imprévu ne doit être définitif. Fabriquer un gréement de fortune pour rallier la terre après un démâtage ou embarquer dans le radeau de survie ne sont pas des éventualités riantes mais doivent être envisagées, dans un sens, comme des « secondes chances » rassurantes. Notre sécurité s’incarne aussi dans l’anticipation. Merveille moderne, un minuscule téléphone satellite nous permet d’échanger des SMS avec la terre à bas coût. Grâce à la prévision météorologique, la vitesse de notre voilier devient un atout inestimable pour échapper au mauvais temps.
Naviguer simple et léger ne procède pas uniquement d’une esthétique et de la conviction que nos vies doivent prendre un chemin plus sobre pour respecter les limites de notre planète en souffrance. C’est aussi l’idée qu’aller à l’essentiel – des voiles, des cartes, un GPS, du riz et des œufs, trois marins, pourrait-on résumer – est la meilleure des garanties de robustesse. D’autant plus que le superflu coûte cher. Bien que nous appartenions aux chanceux de ce monde, nous n’en avons pas les moyens. Plutôt, nous ne voulons pas perdre notre temps à les accumuler. La générosité de mes grands-parents et de mes parents m’ont permis d’acquérir Gallinago et de l’équiper. Nous disposions donc d’un bateau. Pour le reste, il serait temps de voir au fil de l’eau en travaillant aux escales et en trouvant du matériel de seconde main, voire en ramassant les vis par terre. L’essentiel était de saisir cette possibilité inestimable : celle de pouvoir larguer les amarres.
Carnet de bord de Maxence et Victor Ansquer à découvrir dans Bouts du monde 60
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